lundi 3 janvier 2011

Recension du colloque Edmond Michelet au Collège des Bernardins

Comme annoncé voici la recension des communications à ce colloque. C'est un peu long; n'hésitez pas à réagir (ou rectifier pour ceux qui étaient au colloque).
Bernard Zeller

Colloque : «Edmond Michelet, un chrétien dans la vie politique »

Paris, Collège des Bernardins, 10 et 11 décembre 2010

Ce colloque a été organisé par la commission historique pour la béatification d’Edmond Michelet dont le président est, ou était, le professeur Yves-Marie Hilaire. Il semble que celui-ci, malade, ait été récemment remplacé par Nicole Lemaitre.
Le comité scientifique du colloque comprenait les personnalités suivantes : Lucienne Sallé, Philippe Boutry, Yves-Marie Hilaire, Nicole Lemaitre, Jean-Marie Mayeur, Nicolas Risso, Hélène Say, Valérie Siblot-Gasparoux, Jean-Marc Ticchi.
Nicole Lemaitre est professeur d’histoire à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle a assuré la présidence du comité scientifique et animé le court débat organisé en fin de colloque.
Lucienne Sallé, ancien haut fonctionnaire au Conseil pontifical des laïcs à Rome, est postulatrice de la cause de béatification d’Edmond Michelet.
Yves Marie Hilaire est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Charles de Gaulle Lille III ;
Jean-Marie Mayeur est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris IV Sorbonne et membre de la commission historique pour la béatification d’Edmond Michelet.
Nicolas Risso, très proche de Monseigneur Charrier, est curé d’Objat, en Corrèze, et assume de nombreuses responsabilités à l’évêché de Tulle où est instruite la cause de béatification. Il a fait une conférence sur Edmond Michelet à Brive, peu avant le colloque. Il est présent au colloque mais non aisément identifiable en l’absence de signes extérieurs ecclésiastiques.
Hélène Say est directrice des archives de la Meurthe et Moselle après avoir dirigé celles de la Corrèze.
Jean-Marc Ticchi est fonctionnaire au Sénat, conseiller à la Division des études de législation comparée, en charge, en outre, du groupe d’amitié sénatorial France-Vatican ; il est également membre associé du Centre d’anthropologie religieuse européenne de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
Le programme des deux journées du colloque figure ci-après :
Vendredi 10 décembre 2010
9h30 : Introduction
Introduction sur l’homme politique par Gérard Larcher, Président du Sénat.
Introduction scientifique du colloque par Philippe Boutry, professeur à l’université Paris 1, Panthéon-Sorbonne.
10h à 12h : La formation et les réseaux
Présidence : Jean Charbonnel, ancien ministre et ancien maire de Brive
10h : Edmond Michelet et Charles Péguy, par  Jérôme Grondeux, université de Paris IV-Sorbonne.
10h30 : EM et les Équipes sociales, par Pascal Bousseyroux, université Paris VII.
11h : E. M. et les associations de déportés, 1945-1958, par Olivier Lalieu, Mémorial de la Shoah.
11h30 : L’esprit œcuménique, par Jean-Dominique Durand, université Lyon III .
14h à 17h : Le ministre
Présidence : Philippe Vial, Service historique de la défense / Édouard Husson, vice-chancelier des universités de Paris.
14h : De Gaulle et Michelet sous la Quatrième République, par Olivier Herbinet, université de Rennes II.
14h30 : Edmond Michelet et la réconciliation dans les armées françaises 1945-1946, par Claude d'Abzac-Epezy, chargée de recherches associée au Service historique de la Défense.
15h : Face au drame de l’Indochine, par Hugues Tertrais, université Paris I Panthéon-Sorbonne.
15h30 : De l’Algérie française à l’Algérie des deux peuples (1956-1958), par Guy Pervillé, université  Toulouse - Le-Mirail.
16h30 : Le noyau gaulliste et la naissance de la 5e république, par Gilles Le Béguec, université Paris X – Nanterre.
17h : Ministre de la Justice à l’heure de la guerre d’Algérie (1959-1961), par Olivier Dard, université de Metz.
19h : Un homme politique chrétien dans les années 1960, par Jacques Barrot, ancien vice-président de la Commission européenne, membre du Conseil constitutionnel.

Samedi 11 décembre 2010
8h : Messe à l’église Saint-Louis en L’Isle, présidée par Mgr Charrier, évêque de Tulle.
9h à 11h30 : La réconciliation
Présidence
  : Gabriel de Broglie, chancelier de l’Institut
9h : La réconciliation entre la monarchie et la Ve république (De Gaulle et le comte de Paris), par Guillaume Gros, université Toulouse-Le Mirail.
9h30 : La réconciliation avec l’Allemagne, par Étienne François, Technische Universität Berlin.
10h : La réconciliation avec l’Algérie indépendante (président de France-Algérie), par Éric Kocher Marboeuf, université de Poitiers.
10h30 : La réception du concile dans l’Église de France, vue par Edmond Michelet, par Audrey Virot, université Paris 11.
11h30-12h30 : Discussion générale conclusive
Sous la direction de Nicole Lemaitre, professeur émérite à l’université Paris I - Panthéon-Sorbonne.
Les questions posées par écrit sur les deux jours seront débattues entre les intervenants et le public.
Intervention finale : Mgr Bernard Charrier, évêque de Tulle.


Un colloque scientifique ou hagiographique ?
Une équivoque s’installe ab initio à l’examen tant de la composition du comité scientifique que de la présence de certaines personnalités dans les intervenants au colloque : S’agit-il d’un colloque scientifique, c’est-à-dire historique, ou bien l’objectif est-il de porter la cause de la béatification d’Edmond Michelet ?  L’accueil, avec distribution d’images pieuses à l’effigie d’Edmond Michelet, contribue à cette confusion.                                                                       
Lucienne Sallé est à la fois postulatrice de la cause et membre du comité scientifique du colloque. Même malaise pour la présidence de la session de la matinée du 10 décembre par Jean Charbonnel, "gaulliste de gauche", très proche d’Edmond Michelet - en particulier à Brive -, communiant dans le même gaullisme que lui et auteur d’un livre sur l’ancien ministre plein d’une amitié complice.
Le président de la session de l’après-midi du vendredi, Philippe Vial, lui, est historien et, en tant que tel, a une position neutre vis-à-vis d’Edmond Michelet (Edouard Husson était absent).
Président de la session du samedi matin, affichant également une position neutre, Gabriel de Broglie a été au cabinet d’Edmond Michelet au ministère de la culture et en a assumé officieusement la direction effective.
Parmi les intervenants, la très grande majorité des historiens ne sont aucunement suspects de parti-pris dans un sens ou dans un autre ; deux d’entre eux ont des liens anciens avec Jean Charbonnel. L’un, (Jean-Dominique Durand, spécialiste de la démocratie chrétienne), a accueilli  le livre de Jean Charbonnel, Edmond Michelet, comme premier titre de la collection "Politiques et Chrétiens" qu’il a dirigée aux Editions Beauchesne. Si l’on ajoute à cela l’omniprésence de membres de la famille Michelet, on a le sentiment qu’une coterie à noyau familial et amical est attachée à obtenir la béatification d’Edmond Michelet. Elle a des difficultés à entendre - plusieurs réactions au cours de ce colloque vont dans ce  sens - ce qui ne correspond pas à l’image qu’elle s’est faite, sans approfondissement et une fois pour toutes, d’Edmond Michelet, spécialement dans le domaine de l’action politique, sujet au cœur  même du colloque.
Il faut rendre hommage à la neutralité de Nicole Lemaitre qui, lors du court débat final a donné la parole à des intervenants n’appartenant pas à cette coterie.  
Parmi les auditeurs de ce colloque (une centaine de personnes), plusieurs membres de la famille Michelet, y compris – ce qui peut se comprendre – son petit-fils Monseigneur Rivière, évêque d’Autun, de Chalon et de Macon, des soutiens de la cause de béatification d’Edmond Michelet et un tout petit noyau de personnes pour lesquelles le principe de la béatification d’Edmond Michelet ne va pas de soi en raison de ses actions en tant que ministre de la justice en 1959-61 et de sa passivité lors du massacre des harkis et des disparitions massives d’européens en Algérie à l’été 1962.


La formation et les réseaux

On sait l’influence de Péguy sur Edmond Michelet. Ce point a été développé par Jérôme Grondeux sans que des éléments réellement nouveaux soient mis en évidence. Elle s’est traduite – c’en est la manifestation la plus connue – dans la confection par Edmond Michelet, le 17 juin 1940, d’un tract appelant à ne pas cesser le combat, tract distribué dans Brive et uniquement composé de citations de Charles Péguy empruntées à L’Argent suite : « Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend… ».

La présentation, très riche, de Pascal Bousseyroux consacrée à l’engagement d’Edmond Michelet dans les Equipes sociales de Robert Garric a eu le mérite de mettre en évidence les parcours à la fois parallèles et divergents d’Edmond Michelet et de Robert Garric, tous deux marqués par Charles Maurras, Garric subissant plutôt son influence littéraire, Michelet s’engageant à l’Action Française de 1919 à 1927. Parallélisme, dans leur engagement dans l’Action catholique de la jeunesse de France dans les années 30 et dans leur vision d’un renouveau du catholicisme après la grande guerre. Divergences dans leurs formes d’engagement au Secours National qui conduisit Robert Garric à en devenir le commissaire national et à suivre le maréchal Pétain qui le décora de la Légion d’honneur en septembre 1943 tandis qu’Edmond Michelet, membre du Secours National devint responsable, sous cette couverture, de la Région 5 du mouvement de résistance Combat. Sur le plan personnel, quelles que soient leurs divergences sur le plan politique, les liens amicaux, de nature spirituelle, entre les deux hommes ont subsisté jusqu’à la mort de Garric en 1967. Celui-ci, antigaulliste, assistait à la messe célébrée en mémoire de Jean Bastien-Thiry dans les années suivant son exécution en mars 1963.
Qu’en conclure ? Que des hommes de formation et de parcours très voisins dans leur jeunesse et dans leur première maturité ont pu suivre des chemins opposés dans les circonstances exceptionnelles de la guerre de 1939-45 ; il est bon de l’entendre rappeler à une époque, la nôtre, encline à la pensée unique.    
Que, par ailleurs, Edmond Michelet ait conservé son amitié pour Robert Garric en dépit de divergences politiques, cela n’a rien que de banal.

L’exposé d’Olivier Lalieu sur Michelet et les associations de déportés, après un récit résumé de la détention d’Edmond Michelet au camp de Dachau et de sa libération, rappelle l’engagement d’Edmond Michelet à la Fédération Nationale des Déportés Internés et Résistants, dont il a été vice-président et dont il s’emploie en 1945 et dans les années 1949-50 à éviter l’absorption par la Fédération Nationale des Déportés Internés Résistants et Patriotes d’obédience communiste.  

Jean-Dominique Durand a traité de l’ "esprit œcuménique" d’Edmond Michelet.
Edmond Michelet, alors qu’il faisait partie dans les années 1954-1957 de la délégation française chargée de défendre à l’O.N.U. la politique française en Algérie, rencontre le pasteur méthodiste Abraham Verheide aux Etats-Unis. Celui-ci est le président-fondateur de l’ International Council of Christian Leadership, l’I.C.C.L., devenu par la suite I.C.L. C’est un mouvement de dirigeants et hauts responsables, soutenu par la présidence des Etats-Unis (Eisenhower participe aux petits-déjeuners trimestriels de prière organisés par l’I.C.C.L. ; le vice-président de l’I.C.C.L est Richard Nixon ; Billy Graham en est l’un des conférenciers). Edmond Michelet aurait considéré le pasteur Verheide comme son "second père".
En 1962, Edmond Michelet prend la présidence de l’I.C.L. et lui imprime trois orientations majeures :
-         Pour les laïcs, prier en commun, réfléchir en commun et agir en commun avec les autres chrétiens (principalement des protestants). Edmond Michelet  a des liens avec Frère Roger de Taizé,
-         Œuvrer à la réconciliation européenne : l’œcuménisme est un moyen de réconciliation entre européens,
-         S’engager en faveur du développement ; c’est une attitude chrétienne favorisant la paix.
Edmond Michelet préside également le Mouvement International des Responsables Chrétiens, issu de l’IC.L., mouvement encore actif (très moyennement) en 2010.
Commentaire. L’exposé n’aborde pas les aspects religieux et théologiques de l’œcuménisme supposé d’Edmond Michelet ; il est axé sur le volet "action politique nationale et internationale" des structures d’influence auxquelles il adhère, qu’il préside ou qu’il a créées.



  Le Ministre

Philippe Vial a souligné que la session qu’il présidait était celle de la pratique après celle de la théorie, objet de la session du matin.
Commentaire : c’est là le vrai sujet du colloque : "Edmond Michelet, un chrétien dans la vie politique".

En charge de la période 1946-1958, Olivier Herbinet énonce ce qu’il considère comme un référentiel commun à De Gaulle et Michelet : une synthèse politique du nationalisme et de la démocratie chrétienne. Une symbolique leur serait commune, celle de la liberté, de la fidélité, de la Providence au service de la nation.
Il met en évidence la cristallisation sur de Gaulle du monarchisme latent de Michelet depuis son départ de l’Action française. De Gaulle est pour lui le monarque. Il le dit d’ailleurs dans son livre d’entretiens avec Alain Duhamel, "La querelle de la fidélité" publié en 1971.
Olivier Herbinet voit deux phases dans le gaullisme de Michelet sous la IVe  République : 1946-47 et 1948-1958.
Dans la première phase, il y a encore des décalages entre de Gaulle et Michelet. Ce sont les épisodes du ministre des armées Michelet confronté à la situation militaire personnelle de de Gaulle, de l’affaire Passy, de ses palinodies à Brive lors des élections municipales de 1947. Il subit alors les invectives du général de Gaulle.
Ne pas avoir été adoubé Compagnon de la Libération restera une blessure secrète.
Dans la deuxième phase, après l’exclusion du M.R.P. et l’intermède des R.P.I., Edmond Michelet rentre dans le rang gaulliste et devient le gaulliste intégral (selon ses propres termes) qu’il restera.  Il ne fait pas partie des grands ténors du gaullisme, Malraux, Soustelle et Foccart (ce dernier dans la coulisse). Il renseigne de Gaulle. Par exemple sur la position des américains sur la politique de la France en Algérie. Il joue l’intermédiaire entre de Gaulle et Bidault, de Gaulle et Mendès-France, entre de Gaulle et le comte de Paris.
A partir de 1955, Edmond Michelet passe à l’activisme pour le retour au pouvoir du général de Gaulle. A tel point qu’il est en faveur d’un coup d’état soutenu par l’armée à cette fin (rapporté par Eric Roussel).
En 1958, Edmond Michelet voit le conflit algérien comme une occasion unique pour le retour au pouvoir du général de Gaulle. Le thème de la sauvegarde de l’Algérie française, impliquant alors ce retour, est largement utilisé par les Républicains sociaux à la fin de 1957 et au début de 1958 lors de réunions publiques que préside ou auxquelles participe Edmond Michelet.
Olivier Herbinet souligne, en conclusion, qu’Edmond Michelet a toujours dû faire preuve de sa fidélité au général de Gaulle.
Commentaire : de Gaulle a utilisé cette relation d’allégeance – Michelet n’a pas été le seul – en jouant sur la corde de la fidélité, connaissant le "gaullisme intégral" du futur Garde des Sceaux.

Claude d’Abzac-Epezy comme lors du colloque de 1999, "Edmond Michelet, homme d’Etat", a été en charge de la période novembre 1945 - décembre 1946, année durant laquelle Edmond Michelet a été ministre des armées, pendant quelques semaines du général de Gaulle, puis de Félix Gouin et enfin de Georges Bidault. Son exposé complète celui de 1999 en traitant la question sous un angle différent : Edmond Michelet a-t-il abordé en chrétien les questions difficiles se posant à lui dans ce poste de ministre des armées ?
La Défense nationale continuant à relever du général de Gaulle, ce sont essentiellement la gestion et l’organisation du personnel des trois armées qui relèvent du ministère des armées et de son ministre. En ce qui concerne l’entraînement des forces, le général de Lattre s’en occupe, les rapports avec Edmond Michelet étant difficiles.
Pour Claude d’Abzac-Epezy, c’est un chrétien (de Gaulle) qui a choisi un chrétien (Michelet) par l’intermédiaire d’un chrétien (le père Maydieu).
Le cabinet militaire d’Edmond Michelet comporte des chrétiens, l’amiral Ortoli, le général Ely, l’amiral Jozan, le général Plou, tous catholiques pratiquants. A noter qu’il est localisé à l’hôtel de Brienne où s’est installé le général de Gaulle tandis qu’Edmond Michelet est rue Royale à l’ancien ministère de la Marine avec son cabinet civil dirigé par Roger Dumaine.
Claude d’Abzac fait remarquer que les archives des dossiers "brûlants" sont conservés au Centre Edmond Michelet à Brive et non au Service Historique de la Défense à Vincennes. Parmi ceux-ci : l’épuration, l’avancement des officiers, l’Indochine, les F.F.I.
Elle rappelle que l’objectif d’Edmond Michelet est de faire passer les effectifs de 1.105.000 à 700.000 hommes, ceci sans accompagnement budgétaire. Sa tache consiste essentiellement à faire ce que l’on nomme aujourd’hui de la communication : devant la presse, nombreux discours sur le "dégagement des cadres" et sur la réduction du budget des armées. S’y glissent des images comme : « les uniformes vert de gris pullulant sur le corps de la France » ; il parle du « sacrifice de quelques-uns au profit de tous » à connotation chrétienne et qui est à la base du mythe résistancialiste.
Roger Dumaine tient une conférence de presse hebdomadaire. Une lettre hebdomadaire intitulée "Informations militaires" est distribuée dans les unités. Edmond Michelet s’adresse aux gendarmes, aux élèves de l’Ecole Polytechnique, aux officiers de réserve et à bien d’autres groupes. Il rend un hommage au général Delestraint
Edmond Michelet n’hésite pas à monter au front pour défendre les armées contre les attaques des socialistes et des communistes. Il tente de faire passer un message d’espoir dans une période difficile pour les armées. 
Commentaire. Cette intervention, isolée des autres travaux réalisés par Claude d’Abzac-Epezy, ne donne pas une idée très concrète de l’action d’Edmond Michelet dans sa fonction de ministre des armées et, partant, d’une éventuelle dimension chrétienne de celle-ci. Pour compléter cette approche, il faut également se reporter à sa communication au colloque de 1999, mentionnée plus haut, et à son article intitulé « Edmond Michelet et la démobilisation de l’armée française (1945-1946) » publié en 2006 dans le numéro 245 de la "Revue Historique des Armées". 

La communication d’Hugues Tertrais : « Face au drame de l’Indochine » est remarquable par l’alliance de rigueur historique et de précision de l’analyse. Il souligne qu’il y a peu de documentation sur ce sujet. Il s’est appuyé sur les archives du fonds Michelet à Brive et sur celles de l’amiral d’Argenlieu.
Quelles ont été les responsabilités d’    Edmond Michelet, dans la succession d’événements intervenant entre le 21 novembre 1945 et le 16 décembre 1946, période durant laquelle il est ministre des armées ? En novembre 1945, Thierry d’Argenlieu, haut commissaire est déjà sur place tandis que Leclerc reconquiert le sud du 16ème parallèle. Michelet quitte ses fonctions trois semaines après le bombardement d’Haïphong par la flotte française et trois jours avant le clash du 19 décembre qui voit la prise de Hanoï par les communistes de Ho Chi Minh.
Edmond Michelet n’a pas de responsabilités directes dans le déclenchement des crises. C’est une structure interministérielle, le comité interministériel de l’Indochine, dont il fait partie avec, entre autres le ministre de la France d’Outre-Mer, Marius Moutet, qui prend les décisions. Il est témoin privilégié plutôt qu’acteur. Il ne tranche pas dans le débat entre "Cochinchinois", autour de l’amiral Thierry d’Argenlieu (qui considèrent que la Cochinchine étant une colonie doit avoir un destin différent de celui du Tonkin et de l’Annam),  et "réalistes", autour de Leclerc et Sainteny (NdR : auxquels on peut ajouter le général Salan) qui estiment qu’il faut négocier avec Ho Chi Minh.
Edmond Michelet prend progressivement ses distances (politiques) avec l’amiral d’Argenlieu avec lequel il est très lié. Il envoie un des ses proches, Max André en mission auprès d’Ho Chi Minh en janvier 1946 sans résultat notable. Lors des accords Sainteny - Ho Chi Minh du 6 mars 1946 auxquels s’oppose d’Argenlieu, il met peu d’empressement à répondre à ce dernier qui lui envoie une lettre demandant expressément son soutien. En fait, Edmond Michelet transmet la lettre à Marius Moutet. La réponse exprime, sans plus, le maintien de la confiance à l’amiral d’Argenlieu.
Pour participer à la conférence préparatoire de Dalat avec le Vietminh (avril-mai 1946), Edmond Michelet envoie Max André. Michelet ne participe pas plus à celle de Fontainebleau (juillet 1946) ; y sont présents Max André, qui la préside du côté français, et Marius Moutet. C’est un échec qui conduira au déclenchement de la guerre d’Indochine. L’une des raisons de cet échec : le jour du départ d’Ho Chi Minh (NdR : accompagné par le général Salan) pour la conférence de Fontainebleau, l’amiral Thierry d’Argenlieu avait fait proclamer la République de Cochinchine.
Lors de l’incident du 20 novembre à Haïphong, tirs hostiles sur les bâtiments de la Marine Nationale, Thierry d’Argenlieu est à Paris. Edmond Michelet contresigne les instructions de fermeté données par l’amiral au général Valluy, instructions se traduisant par le bombardement d’Haïphong qui fait plusieurs milliers de victimes.
Hugues Tertrais a conclu cette première partie de sa communication par cette phrase : « On a l’impression qu’avec l’Indochine, Michelet porte sa croix. »

Une deuxième partie de l’exposé d’Hugues Tertrais concerne la mission sénatoriale effectuée par Edmond Michelet et trois de ses collègues du 5 au 27 septembre 1955 au Vietnam du Sud (Saïgon), au Vietnam du Nord (Hanoï) et en Chine (Pékin). Edmond Michelet était alors membre du Conseil de la République. Un rapport de cette mission, "Retour d’Extrême-Orient", est disponible au Centre Edmond Michelet de Brive. Il s’en dégage, selon Hugues Tertrais une vision gaullienne pour l’avenir : relations avec le Vietnam, reconnaissance de la Chine populaire.
A Saïgon, le sentiment de détresse de la délégation domine. Elle est accueillie en adversaire par le gouvernement de Ngo Dinh Diem. Michelet a cependant une vision un peu brouillée de la question ; il parle du département de Cochinchine (celle-ci avait été une colonie française).
C’est l’occasion pour Michelet de prendre conscience de ce que décolonisation signifie. Il ressent l’hostilité des nouveaux gouvernants et l’expression du nationalisme vietnamien. C’est l’année de la conférence de Bandoeng à laquelle participent les deux Vietnam. Il constate les changements de noms de rue. Il note l’ambiance "Révolution Nationale" du régime.
A Hanoï, la mission est traitée en amie. Pour Michelet, c’est une heureuse surprise. Y a-t-il de la complaisance pour le régime d’Hanoï ?
A Pékin, où la mission, première mission officielle française depuis la prise de pouvoir par Mao Tse Toung, rencontre Chou En Lai, c’est la révélation. Il brocarde la pensée commune qui présente la Chine communiste  comme un pays où rien ne fonctionne. « Nous étions émus… Si nous avions un Etat digne de ce nom, nous n’hésiterions pas à reconnaître le régime de Pékin ».

Commentaire sur cette communication : En première approche, il ne ressort apparemment pas de spécificité  chrétienne de l’action d’Edmond Michelet face au drame de l’Indochine.
Sans bien entendu lui imputer le bombardement de Haïphong, il faut noter qu’il cosigne l’ordre de fermeté donné au général Valluy qui y conduira. Quel  aurait été d’ailleurs un comportement spécifiquement chrétien dans cette situation ? Le signer ? S’y opposer ? L’assortir de conditions ? L’impression qui domine est celle d’une connaissance très imparfaite de la situation par Edmond Michelet et d’une réticence à s’engager sur cette question de l’Indochine de 1946.
Le rapport de mission de 1955 tel qu’il a été résumé montre un Michelet plutôt adepte de la "real politik", ce qui, même sans connaissances théologiques, ne semble pas relever d’une attitude particulièrement chrétienne.
La question se pose également, de façon plus générale, du niveau de compétence et de connaissance des dossiers que devrait avoir un homme politique voulant agir en chrétien. Elle reviendra à propos du passage d’Edmond Michelet au ministère de la justice et à celui de la culture.

Avec la question de l’Algérie, Guy Pervillé aborde un thème spécialement sensible dans la vie d’Edmond Michelet homme politique.
Durant la période 1955-1958, Edmond Michelet ne s’est pas contenté de travailler au retour du général de Gaulle. Il s’est intéressé au problème algérien. Il fait partie, à la demande de Pierre Mendès-France, de la délégation française à l’O.N.U. qui a pour mission de défendre la position française sur l’Algérie : intégrité de la République française, y compris l’Algérie. Parallèlement, Mendès-France nomme Jacques Soustelle gouverneur général de l’Algérie.
Edmond Michelet aurait été le premier à recevoir la confidence de de Gaulle au retour d’une de ses missions à New York, en février 1955 : « l’Algérie ? Perdue, finie! »
Guy Pervillé se livre à une analyse critique de l’essai intitulé Contre la guerre civile qu’Edmond Michelet consacre à l’Algérie en novembre 1957, livre qui fait suite à ceux de Raymond Aron, La tragédie algérienne, et de Jacques Soustelle, Le drame algérien et la décadence française.
Edmond Michelet y met en évidence la polarisation des milieux intellectuels sur la question de l’Algérie, polarisation illustrée par les clivages divisant violemment l’assistance lors d’un débat du Centre français des intellectuels catholiques à propos du livre, Contre la torture, de Pierre-Henri Simon.
Edmond Michelet y apparaît comme profondément embarrassé entre les deux positions opposées (Algérie française ou soutien au F.L.N.). Il craint la guerre civile. Celle-ci interviendra, virtuellement, en 1958, et réellement, mais très déséquilibrée, en 1961- 62. 
Il reproche à Raymond Aron la défense d’une politique fondée uniquement sur l’intérêt.
Son analyse du problème algérien ne retient pas l’analogie irlandaise ; il identifie les européens d’Algérie aux Sudistes des Etats-Unis.
Guy Pervillé considère cette identification comme très insatisfaisante (aucune comparaison possible entre la situation des noirs américains en 1850 et celle des Arabes et Kabyles de l’Algérie de 1950)  et s’inquiète du manque de rigueur des analyses d’Edmond Michelet à propos de références à la Vendée et à la Commune.  
Edmond Michelet, dans son livre, s’adresse à Fehrat Abbas comme s’il était le chef du F.L.N.. Selon Guy Pervillé, ce qui manque le plus dans cet ouvrage, c’est l’analyse du F.L.N.. C’est un manque capital. Il note qu’Edmond Michelet, dans un article paru dans Le Monde daté du 19 juin 1957, a pourtant stigmatisé "les rebelles d’Algérie (le F.L.N.) qui se servent de ce mot (résistance) pour masquer une frénésie raciste analogue à celle que Hitler voulait imposer au monde en utilisant des moyens identiques aux siens".
Pour Michelet, le futur de l’Algérie serait l’indépendance dans un contexte fédéral dans lequel seraient intégrés la Tunisie et le Maroc.
Par la suite, Edmond Michelet fait tout pour dissimuler la position sur l’Algérie du général de Gaulle de 1955. La Lettre à l’Union Française, bulletin du R.P.F. puis des Républicains sociaux (gaullistes) publie en 1955 un éditorial de Jacques Foccart : « L’Algérie est un enfant de la France. Elles sont mère et fille ». En juin 1958, le même bulletin publie un article : 
« Jusqu’à présent on pouvait douter que l’Algérie soit la France. Maintenant, l’Algérie, c’est la France. »
Pour compléter ces quelques éléments rapportés de la communication de Guy Pervillé, on peut citer un autre article publié dans Le Monde du 31 mars 1957 dans lequel Edmond Michelet écrit « La retraite française d’Algérie serait la définitive victoire posthume d’Hitler ». En décembre 1958, Edmond Michelet, ministre des anciens combattants, de retour d’un voyage qui l’a mené en Algérie, reprend lors d’une interview à la Radiodiffusion Télévision Française la formule prononcée par le général de Gaulle à Alger le 4 juin 1958 : « Il n’y a plus que des Français à part entière ».    

Quel commentaire à la suite de cette communication très riche faite par un excellent connaisseur de la guerre d’Algérie ? Edmond Michelet a affiché en public une position en faveur de l’Algérie française alors qu’il n’en était pas partisan et qu’il savait depuis 1955 que le général de Gaulle ne l’était pas. En effet, il était conscient que prôner publiquement l’Algérie française était le seul moyen d’obtenir le retour au pouvoir du général de Gaulle. Sans avoir besoin de faire appel à la théologie, cela ressemble fort à une dissimulation doublée d’une tromperie, attitude fort peu chrétienne.  Et que penser du soutien apporté à partir de 1959-60 au F.L.N. stigmatisé deux ans plus tôt pour "son racisme frénétique analogue à celui d’Hitler" et pour son" utilisation de moyens identiques aux siens" ? Entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici de prôner, cinquante ans plus tard, telle ou telle politique de la France en Algérie mais d’analyser les positions et les méthodes d’action politique d’Edmond Michelet lors du conflit algérien.


Gilles Le Béguec insiste sur le fait qu’il n’y a pas un noyau gaulliste, contrairement à l’intitulé de sa communication, mais plusieurs cercles, qui peuvent se recouper :
- le cercle des barons,
- Olivier Guichard, Jacques Foccart, Jacques Chaban-Delmas, Michel Debré,
- les familiers du déjeuner à la Maison de l’Amérique latine (Emilien Amaury, Edmond Michelet, Louis Terrenoire..)
Les relations de Michelet sont bonnes avec Roger Frey, Jacques Foccart, Jacques Chaban-Delmas ; elles sont plutôt distantes avec Jacques Soustelle et Georges Pompidou ; elles sont hostiles avec Pierre Lefranc et Michel Debré (pour ce dernier à partir de 1959 et sans doute dès auparavant, au Conseil de la République où ils sont tous deux élus).
Dans la période 1955-58, Michelet est très impliqué dans le retour du général de Gaulle au pouvoir.
Quelle est la position d’Edmond Michelet au sein du mouvement gaulliste ?
Il y prend les responsabilités de délégué général du mouvement gaulliste pour la région parisienne, poste auquel il a succédé à Jacques Baumel
Il est sénateur R.P.F. puis "républicain-social" depuis mai 1952 et vice-président du Conseil de la République à partir d’octobre 1957.  Jusqu’en 1955, le groupe gaulliste a un poids certain au sénat. Edmond Michelet a l’oreille de cette assemblée. La période 1955-58 est celle durant laquelle il y est le plus à l’aise.
En 1954, il avait pris l’initiative d’une rencontre (sans lendemain) entre Pierre Mendès-France et le général de Gaulle.  On le surnomme alors : "Le général m’a dit".
Edmond Michelet est président de la fédération de la Seine des républicains-sociaux. Il entre au comité directeur en novembre 1955 puis, en 1957, il intègre la commission politique nationale du mouvement. Le 14 février 1958, le comité directeur des républicains-sociaux le désigne comme président national par intérim en remplacement de Jacques Chaban-Delmas ministre de la défense nationale du gouvernement Félix Gaillard. L’annonce en est faite le 18 février par Roger Frey, secrétaire national. Les 22 et 23 mars 1958, il participe au conseil national du mouvement à Saint-Mandé puis à une tournée de banquets. Le véritable patron des républicains sociaux est plutôt le secrétaire général, Roger Frey, et derrière lui, Jacques Chaban-Delmas.
Quel est le rôle d’Edmond Michelet dans la naissance de la Ve République ?
Le 13 mai 1958, qui l’a peut-être surpris, est un choc. Il déploie dès lors une activité débordante.
Le 14 mai, il est chez Georges Bidault et y prend une lettre de l’ancien président du Conseil National de la Résistance pour le général de Gaulle.
Le 18 mai, il va voir Michel Poniatowski, directeur de cabinet du nouveau président du conseil Pierre Pflimlin.
Le 21 mai, il adresse une lettre à treize personnalités d’horizons divers (dont le général André Zeller) leur demandant de faire pression pour le retour au pouvoir du général de Gaulle
Le 24 mai, il va voir le ministre de l’intérieur Jules Moch.
Edmond Michelet, d’après Gilles le Béguec, aurait pris l’essentiel de ces initiatives sans consulter qui que ce soit.
Le 28 mai, lors d’une réunion avec Olivier Guichard et Jacques Foccart, Edmond Michelet se montre angoissé par le risque d’un putsch (NdR : opération Résurrection, ce qui semble paradoxal quand on connaît sa position de 1955 favorable à un coup de force destiné à ramener le général de Gaulle au pouvoir mais qui s’éclaire si l’on connaît sa position réelle sur la question de l’Algérie)
NdR : à la liste ci-dessus, on peut ajouter sa visite à l’ambassadeur des Etats-Unis à Paris le 16 mai pour lui assurer que de Gaulle n’est pas impliqué dans le complot algérien, qu’il est partisan de l’alliance atlantique et qu’il mènera une politique libérale en Algérie - visite dont on peut douter qu’elle soit de sa seule initiative. Par ailleurs, le 14 mai, il met en relation Charles Béraudier, le fidèle de Jacques Soustelle, avec Alexandre Sanguinetti et Dominique Ponchardier afin d’organiser le passage clandestin vers Alger de Jacques Soustelle.

Après l’investiture du général de Gaulle, à l’été 1958, Edmond Michelet membre du comité central de l’U.N.R. plaide en faveur de la fusion des différents mouvements gaullistes, de l’ouverture en direction des "gaullistes de gauche" et s’oppose au cartel U.N.R./C.N.I./C.R./D.C..  (U.N.R. : Union pour la Nouvelle République ; C.N.I. : Centre National des Indépendants ; C.R. : Centre des Républicains ; D.C. : Démocratie Chrétienne, de Georges Bidault).
Il est partie prenante dans la distribution des investitures aux élections législatives de novembre 1958 et y introduit la candidature d’un membre de son cabinet (il est ministre des anciens combattants depuis juin), Jacques Malleville qui est battu par Pierre Ferri, anciennement républicain social non investi par l’U.N.R. car partisan de l’alliance avec le C.N.I. et qui se séparera du gaullisme. NdR : vérification faite, Pierre Ferri a bien été élu dans la 22ème circonscription de la Seine (Ternes Plaine-Monceau) après avoir devancé un candidat U.N.R. au premier tour, maintenu au second tour, le colonel Boizat, Jacques Malleville ne figurant pas parmi les candidats. Pierre Ferri s’est inscrit au groupe parlementaire des Indépendants et Paysans d’Action Sociale.
Lors de la formation du premier gouvernement de la Ve République, au début de janvier 1959, le nom d’Edmond Michelet aurait été prononcé pour Matignon. C’est Michel Debré qui est choisi par le général de Gaulle. Edmond Michelet obtient le ministère de la justice, ce qui n’est pas du goût de Michel Debré dont le candidat était François Valentin (partisan de l’Algérie française).
Quelle est l’identité gaulliste d’Edmond Michelet ; ce n’est pas :
- un "gaulliste de gauche",
- un gaulliste démocrate-chrétien (Louis Terrenoire en est le prototype)
- un gaulliste de foi (il aurait suivi de Gaulle jusqu’en enfer) NdR : cette expression est difficile à interpréter ; il est possible que le rédacteur de cette recension n’ait pas bien saisi ce qu’a voulu dire l’intervenant.
Au cœur de son adhésion au gaullisme, il y a coïncidence entre sa propre approche de la politique et la vision gaulliste du rassemblement.
C’est un "gaulliste intégral".

Commentaire : qu’apporte cette communication de nouveau ?
Elle confirme le "gaullisme intégral d’Edmond Michelet" et son activisme pour le retour au pouvoir du général de Gaulle.
Rapprochée d’autres communications, elle tend à montrer un Edmond Michelet assumant "facialement" certaines responsabilités, ici celle de président national des républicains-sociaux, tandis que ceux qui font le travail de fond ou tirent les ficelles sont dans l’ombre ou derrière le rideau.
A noter que le R.P. Riquet intitule l’hommage qu’il rend dans La Revue des deux Mondes de décembre 1970 à l’ancien ministre : « Un démocrate-chrétien : Edmond Michelet ».

Avec Olivier Dard, c’est le cœur de la question " Edmond Michelet, un chrétien dans la vie politique " qui est abordé. Il souligne que la fonction de Garde des Sceaux qu’occupe Michelet est une fonction exposée. L’historiographie relative à cette période de la vie politique d’Edmond Michelet met en évidence les ouvrages de Sylvie Thénaut, de Charles-Robert Ageron et de Bernard Zeller (murmures dans les premiers rangs de la salle).
L’exposé d’Olivier Dard est en trois parties :
- comment Edmond Michelet travaille-t-il sur la réforme de la justice ?
- quelles sont ses relations avec les nationalistes algériens ?
- quelles sont ses relations avec les partisans de l’Algérie française ?

La nomination d’Edmond Michelet à la justice est due au général de Gaulle. De même que son départ de la place Vendôme en août 1961 à la demande de Michel Debré. Plus tard, pour la présidence du Conseil constitutionnel, le général de Gaulle hésite : Jean-Paul Palewski ou Edmond Michelet ? Il choisit Jean-Paul Palewski sur avis de Jean Foyer : Palewski est le moins allergique au raisonnement juridique.

Lorsque Michelet arrive Place Vendôme, la réforme de la justice élaborée par Michel Debré, son prédécesseur dans la place, est prête à être appliquée.
Quelles sont les compétences requises à la Justice ? Edmond Michelet n’est pas juriste. Et il se trouve confronté à une tache très importante.
Deux éléments majeurs de cette tache :
- la réforme de la carte judiciaire avec la suppression de la justice de paix et la création au chef-lieu de chaque département d’un tribunal de grande instance. C’est la professionnalisation de la justice et la fin de la justice de proximité.
- la création du Centre National d’Etudes Judiciaires (qui deviendra l’Ecole Nationale de la Magistrature en 1961)
Edmond Michelet est-il armé pour mettre en œuvre la réforme ? Il n’est pas juriste, il n’est pas familier de la haute fonction publique.
Les archives d’André Holleaux, son directeur de cabinet donnent quelques éléments de réponse. Edmond Michelet écrivait des notes rapides. Le cabinet travaille (Simone Rozès, Simone Veil..).
A propos des discours d’Edmond Michelet : "On savait bien qu’il ne parlait pas de  droit, il parlait de Dachau et alors l’auditoire était étreint d’émotion".
A propos des débats à l’assemblée : sur la réforme des régimes matrimoniaux, Edmond Michelet n’est pas à l’aise ; il est contré, pour ne pas dire plus, par Paul Coste-Floret qui connaît parfaitement son sujet.   
Il n’est à l’aise que sur deux sujets : l’éducation surveillée et la condition pénitentiaire.
Quelles sont ses relations avec les nationalistes algériens ?
Sa lutte contre la torture est d’une faible efficacité.
Il a en pratique deux cabinets, l’un avec André Holleaux, composé de magistrats compétents, l’autre avec Joseph Rovan et Gaston Gosselin, puis Hervé Bourges, pro-F.L.N..
Il y a conflit entre Edmond Michelet et ses collègues de l’intérieur, Pierre Chatenet puis Roger Frey, et avec la préfecture de police (Maurice Papon). C’est un conflit durable qui s’aggrave. Maurice Papon dénonce la mansuétude de Michelet. Joseph Rovan, Gaston Gosselin et Hervé Bourges sont sur écoutes. Michel Debré reproche à Edmond Michelet la mollesse de la répression et lui demande de se séparer de son cabinet "civil".

Quid de Michelet et l’Algérie française ?
Les adversaires de Michelet ont une vision bien plus réaliste du F.L.N. (NdR : cela recoupe le propos de Guy Pervillé).
Le principe constitutionnel de l’inamovibilité des magistrats est violé. Les pressions exercées par Edmond Michelet sur le procureur général Besson pour requérir la peine de mort lors du procès des généraux Challe et Zeller sont intenses. Des expressions extraites du livre d’Antonin Besson, le Mythe de la Justice, telles  « lavage de cerveau », « désintégration de ma personnalité » en témoignent.
A propos du recours en grâce de Bastien-Thiry, Edmond Michelet téléphone à Jean Foyer, ministre de la justice : il avait entendu dire que le "chef du commando" avait reçu un traitement psychiatrique. Le rapport des médecins experts daté du 28 septembre 1962 montre qu’en réalité,  Bastien Thiry ne souffre d’aucun trouble de cette nature.

Quel Garde des Sceaux Edmond Michelet a-t-il été ?
- relativement atypique, très en deçà de nombreux Gardes des Sceaux de la Ve République,
- marqué par la guerre d’Algérie et par l’antagonisme des positions judiciaire et policière,
- soucieux des victimes du côté du F.L.N.

La demi-heure accordée pour une communication n’a pas permis à Olivier Dard, selon ses propres dires, de développer pleinement son sujet. Voir in fine, en complément, quelques extraits de la séance de réponses aux questions écrites

Commentaire : Edmond Michelet apparaît comme peu compétent en matière juridique. Dans une période comme celle de sa présence à la tête du ministère de la justice, la question se pose du rôle exact qu’il a pu jouer dans l’élaboration du très grand nombre de lois et surtout d’ordonnances promulguées en matière de justice entre 1959 et 1961, destinées en première période à faciliter la répression contre les nationalistes algériens et, en seconde période, contre les tenants de l’Algérie dans la République. Ou bien Edmond Michelet était à l’initiative de celles-ci, la forme juridique étant donnée par son cabinet, ou bien il n’avait qu’un rôle secondaire, l’essentiel provenant du premier ministre, Michel Debré, ou du président de la République, Charles de Gaulle. Dans le premier cas, il faut, en sus des éléments fournis par Olivier Dard, mettre à son actif, si l’on peut dire, la réforme du code pénal et du code de procédure pénale de l’ordonnance 60-529 du 4 juin 1960, ordonnance qui, en son article 99, rétablit la peine de mort pour crime ou délit politique abolie depuis 1848. Dans le second cas, n’est-on pas en droit d’exiger d’un homme politique chrétien à ce poste suffisamment de lucidité et de capacité technique pour traduire dans le droit et son application les décisions morales qui s’imposent, spécialement dans les circonstances de tension intense franco-française des années 1959-1961 ?
La vérité se situe vraisemblablement entre les deux. Edmond Michelet comprenait - et donc approuvait - les textes qu’il signait, même si l’origine en était à Matignon ou à l’Elysée.
Le rétablissement de la peine de mort pour crimes et délits politiques peut-il être considéré comme la traduction dans la loi d’une analyse chrétienne d’une situation politique ?
La raison d’Etat s’impose-t-elle immanquablement à l’homme politique chrétien ? La réponse à cette dernière question est indubitablement : non.
  

  La Réconciliation

Gabriel de Broglie, chancelier de l’Institut, préside cette session. Il était au cabinet d’Edmond Michelet, ministre de la culture en 1969-70 dans le cabinet Chaban-Delmas sous la présidence de Georges Pompidou.
Selon Gabriel de Broglie, Edmond Michelet était un personnage fascinant : pas de grande culture, mais une culture qui lui était propre. C’était un "sillage". Il provoquait un effet de sidération quand, par exemple, devant un parterre de professionnels du théâtre venus parler budget, il disait que, jeune, il faisait trente kilomètres à bicyclette pour aller au théâtre. Il s’est intéressé au patrimoine, a tenté de réorienter les maisons de la culture, a créé l’année Saint Louis.
Son cabinet, composé d’anciens membres de cabinets précédents, n’était pas très efficace, à commencer par son directeur Roger Dumaine (On peut ajouter que son fils Yves Michelet était son chef de cabinet). La réalité de la direction de cabinet était dans les mains de Gabriel de Broglie.
La dernière apparition publique d’Edmond Michelet est pour les funérailles de François Mauriac, quai de Conti, où il prononce un discours moitié préparé moitié improvisé et, selon Gabriel de Broglie, très émouvant.

La communication de Guillaume Gros, fondée sur un travail approfondi, est centrée sur les relations entre le général de Gaulle et le comte de Paris et le rôle qu’Edmond Michelet y a joué. L’abrogation de la loi d’exil en 1950 autorise le retour en France du comte de Paris. Il exerce alors une influence dans les milieux dirigeants via son bulletin d’information. Dès 1954, s’opère un rapprochement entre le comte de Paris et le général de Gaulle. Ce "dialogue sur la France" se poursuivra jusqu’en 1968.
Les documents utilisés par Guillaume Gros sont :
- le dossier de correspondance entre Edmond Michelet et le comte de Paris, au centre Edmond Michelet de Brive,
- la correspondance entre le comte de Paris et le général de Gaulle, publiée en 1994,
- les lettres, notes et carnets du général de Gaulle
- Les septennats interrompus de Philippe de Saint Robert, publié en 1977.
La première rencontre, organisée par Edmond Michelet, entre le comte de Paris et le général de Gaulle intervient le 13 juillet 1954. Jusqu’au retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, celui-ci pousse le comte de Paris à s’exprimer sur les grands problèmes du temps.
1958-1962 est la période la plus dense. La vision monarchique de constitution de la Ve République, commune à de Gaulle et au comte de Paris, rapproche les deux hommes. Le comte de Paris demande au général de Gaulle à servir en Algérie, comme son proconsul, au-dessus des partis et  susceptible de rapprocher les diverses factions : le général de Gaulle lui confie une mission au Moyen-Orient. Le 28 octobre 1962, au soir du référendum sur l’élection présidentielle au suffrage universel, le général de Gaulle lui dit qu’il ne se représentera pas en 1965 et lui laisse entendre qu’il pense à lui pour sa succession. Tout du moins, le comte de Paris l’interprète ainsi. La présence de de Gaulle à l’élection de 1965 est une désillusion pour le comte de Paris. La fin du cycle De Gaulle en 1968-69 est également la fin du cycle Comte de Paris.
Quel rôle Edmond Michelet joue-t-il dans cette relation ? Principalement un rôle d’intermédiaire. Il a tout fait pour que la rencontre du 13 juillet 1954 ait lieu. Le combat contre la Communauté Européenne de Défense (C.E.D.) auquel il a participé activement a rapproché gaullistes et royalistes. Edmond Michelet est reçu à la résidence du prétendant au trône de France à Louveciennes ; il lit le bulletin d’information et l’annote. Michelet a gardé une tendresse pour la monarchie depuis sa période "Action française". NdR : on sait que pour lui, de Gaulle est "le" monarque.
Le bulletin du Comte de Paris a, en fait, été utilisé pour faire adhérer une fraction de la droite à la politique algérienne du général de Gaulle.
Lorsque la question de l’après de Gaulle se pose ("Moi ou le chaos"), certains pensent que celui-ci  veut le comte de Paris comme successeur. Cette perspective réunit un certain nombre de gaullistes, parfois nommés gaullo-monarchistes, parmi lesquels Michel Herson, Christian de la Malène, Philippe de Saint-Robert, Pierre Boutang et, dans une certaine mesure, Edmond Michelet. C’est en fait une tactique gaullienne pour écarter les candidats à la succession. Après l’échec du général de Gaulle au référendum de 1969, Edmond Michelet se rallie à Georges Pompidou (il devient ministre dans le gouvernement Chaban-Demas), Philippe de Saint-Robert, non.
Selon Edmond Michelet, de Gaulle a subi l’attraction maurrassienne sans être réellement maurassien. La constitution de 1958 est marquée par le maurrassisme dans la mesure où le parlementarisme est limité. « Nous sommes en monarchie, mais une monarchie élective reposant sur la légitimité populaire ».
Commentaire : L’expression "La réconciliation entre la monarchie et la Ve République" est ambiguë et semble assez artificielle. Elle laisse entendre qu’Edmond Michelet a joué un rôle de réconciliateur entre la monarchie et la République. Or c’est la Ve République qui par construction, - principalement  de Michel Debré sous influence gaullienne forte - se rapproche d’une certaine forme de monarchie. L’intermédiation entre le comte de Paris et le général de Gaulle ne relève pas à proprement parler d’une réconciliation, le général de Gaulle et le comte de Paris n’étant pas brouillés.
  Cette communication confirme le monarchisme de Michelet ; mais celui-ci s’est, en fait, incarné en de Gaulle. Le rapprochement avec le comte de Paris ne semble en définitive qu’une manœuvre pour séduire une partie de l’opinion monarchiste (royaliste) et l’amener au gaullisme (le cas de Pierre Boutang est exemplaire). Edmond Michelet en était-il conscient ? Dès la disparition de la scène politique du général de Gaulle, les "gaullo-monarchistes" prennent des voies distinctes ou même divergentes.


Etienne François  a présenté une communication très structurée sur les relations de Michelet avec l’Allemagne. Pour le jeune Edmond Michelet, l’Allemagne est l’ennemi ; c’est un  patriote intransigeant qui se nourrit de Maurras et de Péguy. Son patriotisme est exempt de nationalisme.
Lors de la montée du nazisme, au cercle Joseph Duguet dont Edmond Michelet est l’animateur, à partir de 1937, les dangers menaçant la civilisation sont dénoncés et combattus : le racisme, le totalitarisme. "Das tut man nicht", "Cela ne se fait pas". D’ailleurs, un certain nombre d’allemands a appliqué ce principe ; en 1945, à Berlin, il y avait plusieurs milliers de juifs cachés par des allemands non-juifs. Edmond Michelet a aidé des allemands réfugiés en France à prendre la fuite en 1940.
Sur la période 1943-1945, Etienne François rappelle la relation avec l’abbé Franz Stock à Fresnes et, moins connue, avec son adjoint, le sergent Diehl qui sera envoyé sur le front de l’est. A Dachau, camp ouvert depuis 1933, qui n’est pas un camp d’extermination, il y a beaucoup de germanophones, allemands et autrichiens communistes, monarchistes, ou sociaux-démocrates. Il y a plus de mille prêtres polonais et de nombreux prêtres allemands et autrichiens. Il y a une chapelle tenue par les allemands et les autrichiens.
Edmond Michelet a des conditions de détention relativement favorables. Il est à la tête d’un commando intérieur. Il fait la connaissance de Joseph Rovan (né Rosenthal et converti), d’Adolf Meislingen, membre du parti communiste allemand et kapo, qui aurait aidé Edmond Michelet : "Ce communiste munichois rayonnait d’une douceur française".
Edmond Michelet rentre à Paris, persuadé que le futur ne peut être que la réconciliation. Comment y œuvre-t-il ? Il y a en France un million de prisonniers de guerre. A Chartres a été créé le "séminaire des barbelés" pour les séminaristes allemands prisonniers dont le responsable est l’abbé Stock. Edmond Michelet va le voir trois fois.
Plus tard, il œuvre à la réconciliation via l’I.C.L. et le Centre Européen de Documentation et d’Information (C.E.D.I.) animé par Otto de Habsbourg. Il tisse des liens personnels avec Gerhard Schröder, ministre de l’intérieur puis des affaires étrangères et membre de la C.D.U. (à ne pas confondre avec le chancelier S.P.D.), Gustav-Adolf Gedat membre de la C.D.U. et vice-président de l’I.C.C.L., Hans-Joachim von Merkatz, monarchiste passé à la C.D.U et ministre de la justice, Richard Jäger de la C.S.U et également ministre de la justice, ces deux derniers étant membres du C.E.D.I.
Au-delà des liens personnels, Edmond Michelet mène aussi une action politique. Il est hostile à la C.E.D. et à la supranationalité. Après 1958, les réseaux d’Edmond Michelet contribuent à assurer la continuité des relations avec l’Allemagne.
Commentaire : la réconciliation avec l’Allemagne est certainement inscrite dans la vision que, dès 1945, Edmond Michelet a du futur des relations entre la France et l’Allemagne. Hostile initialement au réarmement allemand et à la C.E.D., il est par la suite un des artisans, à sa façon propre, de cette réconciliation. Un sujet à creuser est celui du rôle du C.E.D.I., non seulement dans le rapprochement franco-allemand mais aussi de l’Espagne avec l’Europe, et des responsabilités qu’Edmond Michelet y a assumées.

La genèse et l’action de l’association France-Algérie sont présentées par Eric Kocher-Marboeuf. Suscitée par le général de Gaulle, elle est créée officiellement en juin 1963. Sa présidence est confiée à Edmond Michelet qui en a été la cheville ouvrière. Il n’est pas aisé de savoir le rôle qu’Edmond Michelet y a joué sachant que les archives de l’association seraient actuellement dans la propriété d’un membre décédé de l’association et non consultables de ce fait. De rares papiers sont conservés au Centre Edmond Michelet de Brive.
Eric Kocher-Marboeuf a consulté la collection de bulletins publiés par l’association.
Le premier numéro du bulletin – alors très modeste – date de janvier 1964. Edmond Michelet écrit l’éditorial du n°2, de janvier 1965, d’une nouvelle série du bulletin, plus "professionnelle". Il s’agit de préparer l’opinion française à une coopération avec l’Algérie. Par la suite, Edmond Michelet n’intervient apparemment plus dans la rédaction du bulletin : plus d’article signé de lui. Le bulletin n’évoque pas, même allusivement, la disparition de 3000 européens d’Algérie, pas plus que le massacre de dizaines de milliers de harkis. Il ne mentionne pas le renversement de Ben Bella, objet du coup de force du colonel Boumedienne.
En 1967, Edmond Michelet, à la fois ministre de la Fonction Publique et président de France-Algérie, se rend en visite officielle en Algérie. Il rencontre le colonel Boumedienne et est fait citoyen d’honneur de la ville d’Alger (NdR : le général Salan avait été fait citoyen d’honneur de la ville d’Alger à la fin de 1958). Les bulletins de l’association relatant ce voyage assimilent les nationalistes algériens du F.L.N. aux résistants français de la 2ème guerre mondiale.
Après ce voyage, il n’est plus fait mention d’Edmond Michelet dans le bulletin de France-Algérie, si ce n’est pour lui rendre hommage après sa mort dans le numéro de fin 1970.

Commentaire : on ne sait donc pas grand-chose du rôle d’Edmond Michelet à la tête de France-Algérie et du travail de "réconciliation" qu’il a pu y mener. Comme le fait remarquer Eric Kocher-Marboeuf, (qui a écrit un ouvrage de référence sur Jean-Marcel Jeanneney,  dont 130 pages sur son ambassade en Algérie au 2ème semestre de 1962), il était illusoire d’espérer coopérer avec les dirigeants de l’Algérie qui prennent pour modèle de dirigeant Fidel Castro, pour modèle économique le socialisme et qui sont sous la surveillance de l’armée du colonel Boumedienne. On ne peut que constater, en le déplorant, que cinquante ans après, il n’y a toujours pas de réconciliation. Il faut, en effet, que les deux parties souhaitent se réconcilier, ce qui n’est pas le cas du côté des dirigeants algériens qui se sont succédé depuis 1962.
Un constat :
-   rien sur le sort des harkis et sur celui des européens enlevés et disparus,
- une bouche cousue de France-Algérie, dans la pure tradition totalitaire, lors du renversement d’Ahmed Ben Bella par le colonel Boumedienne. Il faut continuer avec celui-ci  tandis que celui-là est passé par pertes et profits.




Audrey Virot a présenté la dernière communication du colloque, intitulée "La réception du concile dans l’Eglise de France vue par Edmond Michelet".
Edmond Michelet est un familier de Rome, à titre privé et à titre officiel dans ses fonctions de ministre à partir de 1958. A titre privé, il obtient des audiences du pape – à partir de 1963 auprès de Paul VI – par l’intermédiaire de René Brouillet, ambassadeur de France auprès du Vatican ; il en rend compte au général de Gaulle.
 De Gaulle, après le concile Vatican II, inquiet du passage du latin au français dans la liturgie à propos de la traduction du "Domine salvam fac rem publicam", héritier de l’article 8 du concordat de 1801, charge Edmond Michelet d’une mission sur cette question.
Michelet estime que le gaullisme et l’Eglise marchent sur des chemins parallèles. Il écrit des articles sur le thème : "Comment peut-on être à la fois gaulliste et chrétien ?". Le chrétien gaulliste allierait tradition (la chrétienté) et liberté (le gaullisme).
Dans l’après concile, mai 1968 marque une rupture, en particulier ressentie par Edmond Michelet.
En 1969, avant le référendum sur la décentralisation qui allait conduire au départ du général de Gaulle, Edmond Michelet est mis en fureur par une déclaration de Monseigneur Ancel, président de la commission ouvrière de l’Episcopat, qui relève la déception du monde ouvrier après la déclaration du général de Gaulle du 30 mai 1968. Il publie une déclaration violente à l’adresse des évêques de France – qu’il accuse de pencher vers le marxisme après avoir penché vers le pétainisme et le collaborationnisme – et lui donne un grand retentissement. Le cardinal Lefebvre, président de la conférence épiscopale, lui répond une lettre très argumentée sans céder sur le fond.
 En 1970, dans une interview à Jean Bourdarias, Edmond Michelet réaffirme le caractère au total bénéfique du concile Vatican II mais met en garde contre les changements non prévus dans le concile et surtout s’indigne contre les clercs qui critiquent le pape. Il signe une lettre commune d’obéissance et de soutien à Paul VI.

Commentaire : Cette communication, intéressante en tant que telle, ne permet pas de savoir en quoi Edmond Michelet a pu faire œuvre de réconciliation dans l’Eglise de France après le concile Vatican II. A noter que sa diatribe contre les évêques de France coïncide avec la campagne électorale pour le référendum, perdu par le général de Gaulle : le gaullisme est toujours prégnant chez Edmond Michelet. 


Questions et Réponses
Une brève séance de réponses aux questions qui avaient été posées par écrit a suivi le dernier exposé en fin de matinée du samedi.

Q : La construction européenne, Edmond Michelet est-il passé à côté, le contre-exemple étant Robert Schuman ?
R : (Etienne François) Robert Schuman a choisi l’intégration européenne, conduisant à la supranationalité avec, en parallèle, le réarmement de l’Allemagne. Edmond Michelet était contre le réarmement de l’Allemagne, d’autant plus que c’était sous influence américaine. Il est pour les nations réconciliées mais non supprimées.

Q : La fin de la guerre d’Indochine a conduit à une rupture totale. Pourquoi Edmond Michelet n’aurait-il pu peser pour éviter la rupture ?
R : (Hugues Tertrais)  La leçon indochinoise montre que l’on n’a pas su se dégager de l’Indochine. Par exemple, en 1950, après Cao Bang, la question se posait pleinement. Edmond Michelet, pas plus qu’un autre, n’a été capable d’imaginer la sortie de la guerre d’Indochine. Il n’a pas plus imaginé une sortie (non catastrophique) de l’Algérie mais on ne peut lui reprocher de ne pas s’être projeté sur l’Algérie.

Q : Pourquoi Edmond Michelet demande-t-il que la peine de mort soit appliquée aux généraux Challe et Zeller alors qu’il était opposé à cette peine ?
R : (Olivier Dard) Michelet applique une politique, celle du gouvernement dans un contexte précis, celui de l’application de l’article 16 de la constitution qui confère des pouvoirs exceptionnels au président de la République. Celui-ci a choisi de créer des juridictions d’exception, n’existant pas au moment des faits.

Intervention d’Hélène Say. A propos du procureur général Besson, Hélène Say cite, extrait de son livre" Le Mythe de la justice", un passage élogieux  sur Edmond Michelet.

Intervention de Bernard Zeller. Il se présente comme l’un des fils du général André Zeller, catholique, tout à fait en mesure, cinquante ans après les faits, de les considérer avec suffisamment de distance.
Il cite – extrait du même livre –  un passage des notes prises par le procureur général Besson immédiatement après le procès des généraux Challe et Zeller et relatant une réunion à la Chancellerie le 28 mai 1961 : "Pierre Messmer réclame pour Challe et Zeller que soit requise la même peine, la peine de mort." « Le code pénal prévoit la peine de mort et l’on ne voit pas dès lors pourquoi je ne la requerrais pas »…
« M. Michelet relaie M. Messmer dans l’entreprise de désintégration de ma personnalité. »
Bernard Zeller poursuit en citant un extrait de la lettre d’Edmond Michelet au procureur général Besson du 30 mai 1961 : « Les articles 90 et 91 combinés, l’article 99 semblent avoir été exactement conçus pour des situations de cette sorte ». « Le code est formel, il prévoit la peine de mort. On n’aperçoit pas quelles circonstances atténuantes peuvent être découvertes ».  

Q : Edmond Michelet est-il intervenu en faveur des harkis ?
R : (Eric Kocher-Marboeuf)  Quand Edmond Michelet prend la présidence de France-Algérie, fin 1963, le pire s’est réalisé pour les harkis. Eric Kocher-Marboeuf cite le Cahier  du colonel Schoen comme l’un des documents de première importance sur la question du sort des harkis. NdR : Eric Kocher-Marboeuf consacre une vingtaine de pages de son ouvrage sur Jean-Marcel Jeanneney à la question des disparitions d’européens et au massacre des harkis.

Guy Pervillé souhaitait intervenir sur l’affaire Si Salah dont il n’avait pas été question. Cette intervention lui a été refusée en raison du retard pris sur l’horaire.

Le colloque s’est terminé par une intervention de Monseigneur Charrier, évêque de Tulle où la cause de béatification d’Edmond Michelet a été ouverte. Le texte, pré-rédigé, et reprenant des éléments d’une conférence de Nicolas Risso, a été diffusé sous une forme adaptée sur le site de l’épiscopat français et repris sur divers sites catholiques. On peut regretter qu’il n’ait pas tenu compte, au moins partiellement, des questions – jusqu’ici occultées – qui ont été ouvertes lors de ce colloque, questions développées ci-après.







BILAN

Comme souvent en pareil cas, ce colloque a soulevé plus de questions qu’il n’a apporté de réponses. Une certitude, il y a encore un travail colossal à effectuer sur "Edmond Michelet, un chrétien dans la vie politique".
Il ressort quand même quelques éléments nets. Edmond Michelet n’est pas un être tout de lumière ; il y a des zones d’ombre qu’il faudrait éclairer ; elles ont été citées au fil des commentaires accompagnant les recensions des communications. Un point majeur ressort de l’ensemble, c’est le gaullisme intégral d’Edmond Michelet ; c’est la clé permettant de comprendre l’homme politique Michelet. Sans porter ici de jugement de valeur sur le gaullisme, il faut admettre que ce gaullisme intégral a conduit Edmond Michelet à des actes et à des comportements dont, sans être théologien, on peut estimer qu’ils ne relèvent pas d’un esprit chrétien. On peut en citer trois, mis en évidence au cours du colloque:
-         l’équivoque entretenue sur la question de l’Algérie française afin de permettre le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958, qui a trompé nombre de personnes de bonne foi avec les conséquences que l’on connait,
-         le rétablissement, en tant que Garde des Sceaux, de la peine de mort pour crime ou délit politique et les pressions pour la faire appliquer, qu’il serait bien faible de justifier par une raison d’état,
-         le silence sur le massacre des harkis et les enlèvements d’européens en 1962 et 1963.
Que ce soit clair, il ne s’agit pas ici des positions politiques sur l’Algérie et sur le général de Gaulle qui sont en jeu, il s’agit de la manière pour un chrétien de prendre des responsabilités politiques. S’agissant d’hommes politiques autres qu’Edmond Michelet, ces comportements seraient considérés comme relevant des règles habituelles du jeu politique. S’agissant d’Edmond Michelet candidat à la béatification, l’exigence devient toute autre.   
De plus, et c’est un point qui nécessiterait des connaissances théologiques plus approfondies, la question se pose des compétences dont doivent faire preuve des chrétiens prenant de très hautes responsabilités politiques. Plusieurs communications ont mis en évidence les compétences limitées d’Edmond Michelet dans des domaines spécifiques aux fonctions qu’il a assurées : au ministère des armées en 1945-46, au ministère de la Justice en 1959-61, au conseil constitutionnel en 1962-67, au ministère de la culture en 1969-70. En reprenant le commentaire relatif à la communication sur Edmond Michelet ministre de la Justice : n’est-on pas en droit d’exiger d’un homme politique chrétien à ce poste suffisamment de lucidité et de capacité technique pour traduire dans le droit et son application les décisions morales qui s’imposent, spécialement dans les circonstances de tension intense franco-française des années 1959-1961 ?
La publication des actes du colloque est prévue pour la fin de 2011. Ce sera une étape importante, mais rien qu’une étape. Les archives du ministère de la Justice, celles du Centre Edmond Michelet, celles de l’association France-Algérie, ont encore beaucoup à apporter et les jeunes chercheurs qui ont contribué au colloque ont de grandes responsabilités à cet égard. En particulier, la thèse qu’Olivier Herbinet prépare sur le parcours politique d’Edmond Michelet est attendue avec grand intérêt.     
 

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