dimanche 28 octobre 2012

1946 : Edmond Michelet réquisitionne un hôtel particulier

Dans le numéro 466 du samedi 16 février 1946, le quotidien L’Aurore titre : "Après M. Tillon, M. Michelet Un luxueux hôtel réquisitionné rue François 1er "
Suit un article au ton cinglant détaillant le déménagement de la famille de M. Michelet du Ministère de la Marine vers cet hôtel particulier.


Pourquoi cet article ? Pourquoi ce ton ?
Nous sommes au début de 1946. Edmond Michelet, M.R.P., est ministre des armées du nouveau gouvernement provisoire présidé par Félix Gouin. Le 20 janvier 1946, le général de Gaulle, président du précédent gouvernement provisoire a démissionné. Edmond Michelet, qui a été son ministre des armées depuis le 21 novembre 1945, assisté pour l’armement du communiste Charles Tillon, est reconduit dans ses fonctions au sein du nouveau gouvernement. Ce gouvernement tripartite (M.R.P., socialistes, communistes - les radicaux-socialistes ne participent pas au gouvernement)), tout comme le précédent, manque de cohérence, traversé qu'il est par les querelles entre partis, et est largement frappé d’impuissance devant la situation catastrophique du pays : crise financière, problèmes aigus de logement, de ravitaillement, de fourniture de combustible de chauffage et d’électricité, etc. Le parti communiste, bien qu'au gouvernement, souffle sur les braises. Il n’est pas le seul.
La question de la définition du rôle, de la composition (armée de conscription – armée de métier) et du format de l’armée française (effectifs) est posée. Le 31 décembre 1945, lors du vote du budget, un amendement, au nom du parti socialiste, de M. Capdeville relayé par André Philip, tend à réduire ses crédits de 20%. Un compromis est trouvé mais c’est la goutte d'eau qui fait déborder le vase De Gaulle : il démissionne après une retraite dans le sud de la France. L’armée est sous le feu de la presse qui dénonce son train de vie : immeubles et véhicules réquisitionnés, effectifs pléthoriques, officiers menant grande vie en Allemagne occupée, intendance généreusement pourvue…
C’est dans ce contexte que le déménagement de M. Michelet intervient.
Claude Michelet, le dernier fils d’Edmond Michelet a raconté avec un certain bonheur quelques épisodes des séjours de sa famille au Ministère de la Marine puis dans l’hôtel particulier de la rue François 1er dans son livre intitulé "Une fois sept" – il avait alors 7/8 ans
L’Aurore, alors de tendance radical-socialiste, est dirigée par Paul Bastid. Celui-ci, normalien, a été élu à 32 ans député du Cantal. Il l’est resté sans interruption jusqu'à la guerre. Résistant et membre du Conseil National de la Résistance en 1943, il est membre de l’Assemblée Consultative provisoire en 1944-45 et est élu à la deuxième Assemblée constituante en juin 1946. En février 1946, il n’est donc pas député et combat fermement le tripartisme, cause de l’impuissance du gouvernement.
Dominique Pado, de son vrai nom Dominique Padovani, est, en 1946, un très jeune journaliste de 24 ans. En 1967, il devient sénateur et le restera jusqu'à sa mort en 1989.
A noter qu'en 2005, à la suite d’une campagne de presse, Hervé Gaymard démissionne de son poste de Ministre de l’économie et des finances du gouvernement Raffarin. Il occupait un appartement en duplex de 600 m², rue Jean Goujon (qui – hasard de la géographie – coupe la rue François 1er) dans le 8ème arrondissement de Paris, dont le loyer mensuel de 14000 euros était réglé par l’Etat. 



dimanche 21 octobre 2012

Recension des Journées d’Etudes « Edmond Michelet et l’Eglise » des 28, 29 et 30 septembre 2012 à Brive et Aubazine.











































Affiche d’invitation aux Journées d’Etude Edmond Michelet

Les 28, 29 et 30 septembre se sont tenues diverses manifestations à Brive-la-Gaillarde et à Aubazine :
-          Le 28 septembre, à l’école Bossuet de Brive, une conférence de Monseigneur Bernard Ardura, président du Comité pontifical des Sciences historiques à Rome, intitulée : « Les pères de l’Europe, une spiritualité au service du bien commun »,
-          Le 29 septembre, à l’abbatiale Saint Etienne d’Aubazine, la journée d’étude proprement dite, intitulée : « Edmond Michelet et l’Eglise »
-          Le 30 septembre, une messe dans l’abbatiale présidée par Monseigneur Bernard Charrier, Evêque de Tulle



CONFERENCE DE MONSEIGNEUR ARDURA

La conférence de Monseigneur Ardura centrée sur les figures de Robert Schuman, Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi, spécialement passionnante dans le contexte actuel, a remis en perspective les intentions fondatrices des « pères de l’Europe » et l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui, soixante ans plus tard.

Monseigneur Ardura connaît parfaitement Robert Schuman. Il est, à Rome, le responsable de l’enquête canonique de sa béatification, le dossier ayant été transmis à la Congrégation pour la cause des saints après clôture en 2004 de la phase diocésaine par Monseigneur Raffin, évêque de Metz.

Dans son introduction, Monseigneur Ardura a souligné l’actualité du thème de l’Europe et l’intérêt de se pencher aujourd’hui sur ses origines, après la guerre de 1939-1945.

Son propos porte successivement sur les trois « pères de l’Europe », à savoir Robert Schuman, Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi.
Les trois hommes ont des points communs :
-          Ils ont grandi non loin des frontières ; Schuman à Luxembourg, Adenauer à Cologne (à 60 km de la Belgique et des Pays-Bas et dont il sera le bourgmestre) et de Gasperi à Pieve Tesino dans le Haut-Adige alors autrichien
-          Ils ont combattu les totalitarismes fasciste et national-socialiste : Schuman est interné par la Gestapo au début de l’occupation et détenu à Metz et à Neustadt, Adenauer est emprisonné en 1934 et en 1944, Alcide de Gasperi en 1927-28.
-          Ils sont tous trois catholiques pratiquants.
NdR : On pourrait ajouter qu’ils sont de la même génération et ont connu les deux guerres, celle de 1914-1918 et celle de 1939-1945.

Monseigneur Ardura développe ensuite les éléments marquants de la biographie de Robert Schuman, depuis sa naissance, Français à Luxembourg en 1884,  Allemand jusqu’en 1918, jusqu’à ses fonctions ministérielles des années 50. Il est président du Conseil en 1947, puis ministre des affaires étrangères sans discontinuer de 1948 à 1953 dans huit ministères différents. Robert Schuman est à la croisée de deux cultures, la française et l’allemande, dont il considère les oppositions comme non irréductibles. Ceci le prépare à son action future en faveur de la réconciliation franco-allemande et de la création d’une Europe unie. En parallèle à son action politique et en pleine cohérence avec celle-ci, il développe une spiritualité à base d’étude quotidienne de la Bible, de récitation du rosaire, sous l’influence de Léon XIII et de Pie X. Il acquiert le sens du service de Dieu et de la société. En 1911, il s’était interrogé sur une possible vocation sacerdotale. Sa vocation n’étant pas avérée, il reste cependant célibataire pour pouvoir se consacrer pleinement au service de Dieu et du bien commun.
Son action fondatrice en ce qui concerne l’Europe est ce qui s’est appelé « le plan Schuman » exposé dans la « Déclaration Schuman » du 9 mai 1950. Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Georges Bidault, inspiré par Jean Monnet[1], propose de créer une organisation européenne ayant pour mission de mettre en commun les productions françaises et allemandes de charbon et d’acier. Il s’agissait surtout d’empêcher le retour d’une guerre entre la France et l’Allemagne en mettant en commun les moyens industriels à la base de la production d’armements. Avec pour objectif plus lointain de progresser vers une union de l’Europe. Cette déclaration est considérée comme le texte fondateur de la construction européenne.
L’accord immédiat de Konrad Adenauer enclenche le processus qui, le 18 avril 1951, par le traité de Paris, conduit à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (C.E.C.A.) entre France, Allemagne, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas.
Après avoir mentionné les éléments biographiques principaux concernant Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi, Monseigneur Ardura rappelle qu’ils ont pour objectif, après la seconde guerre mondiale, de faire revenir leurs pays, matériellement et moralement en lambeaux, dans le concert des nations.
Ils saisissent la main tendue par Robert Schuman. Tous trois se rencontrent dans la vision qu’ils ont de la construction européenne : « une entreprise d’ordre moral », « une spiritualité au service du bien commun », « la paix par la réconciliation ».  « L’Europe n’est pas une entité géographique ; elle a une dimension spirituelle, fruit d’un long développement».
Pour Monseigneur Ardura, L’Europe est la portion du continent euro-asiatique qui a été évangélisée. Il considère que les racines chrétiennes de l’Europe, au sens de construction politique, sont dans la chrétienté des hommes d’Etat qui ont engagé le processus de son union.
En conclusion, cette conférence étant prononcée dans le cadre de Journées d’études Edmond Michelet, Monseigneur Ardura évoque en une phrase la figure d’Edmond Michelet qui n’a pas eu du tout la même conception de l’Europe que Robert Schuman.

Une séance de  questions et réponses a suivi la conférence, durant laquelle la grande culture historique de Monseigneur Ardura et son humour discret ont été fort appréciés.

A une question sur la position de Robert Schuman vis-à-vis de la Communauté Européenne de Défense, Monseigneur Ardura répond qu’il était en sa faveur, dans le même esprit que pour le charbon et l’acier : unifier concrètement tout ce qui avait divisé l’Allemagne et la France, la Défense en l’occurrence. (NdR : Edmond Michelet, les gaullistes et les communistes étaient violemment contre la Communauté Européenne de Défense)

Plusieurs questions sur l’Europe, sa délimitation géographique et ses racines chrétiennes. On sentait dans l’assistance un profond questionnement sur l’Europe et l’Union Européenne telles qu’elles se présentent aujourd’hui en regard de la vision qu’en avaient les « pères de l’Europe » dans les années 1950.



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EDMOND MICHELET ET L’EGLISE


Cette journée d’étude avait été largement annoncée dans la presse locale, La Montagne et La Vie Corrézienne. L’évêché de Tulle a présenté cette journée par le communiqué de presse ci-après, publié sur son site Internet.


Cette rencontre est organisée par la Commission historique pour la béatification d’E. MICHELET et le diocèse de TULLE.
E. MICHELET fut un catholique convaincu tout au long de sa vie. Mais il fut aussi un chrétien conscient de sa responsabilité individuelle dans le monde. Ce colloque examinera les domaines dans lesquels le meneur d’hommes, l’éducateur, le prisonnier, le ministre, le chrétien, a eu à intervenir. On observera son rapport avec les hommes et les femmes de foi et d’Eglise qui ont accompagné ses engagements et suscité son action et sa réflexion.
Cette journée sera l’occasion d’essayer de comprendre les justes articulations qu’il peut y avoir entre liberté de conscience, foi et responsabilité politique. Il est à relever que l’attitude politique et chrétienne d’Edmond MICHELET peut, aujourd’hui, nourrir le discernement politique de bien des chrétiens.
La quête politique et chrétienne d’Edmond Michelet était fondée sur la "recherche du bien commun".
Le programme de cette journée a été élaboré par la commission historique, nommée par Monseigneur Charrier comme le veut la procédure relative à une cause de béatification.

La commission historique est, sauf erreur, constituée ainsi :
-          Nicole Lemaitre, professeur émérite de L’université Paris I,
-          Yves-Marie Hilaire, professeur émérite de l’université Lille III,
-          Jean-Marie Mayeur, professeur émérite de l’université Paris IV
-          Philippe Boutry, professeur à l’université Paris I et président de cette université
-          Hélène Say, directeur des archives départementales de Meurthe et Moselle
-          Jean-Marc Ticchi, membre associé au CARE (Centre d’anthropologie religieuse européenne), responsable de la division de la législation comparée à la Direction de l’initiative parlementaire et des délégations du Sénat et secrétaire exécutif du groupe sénatorial d’amitié France-Vatican.
Semblent intervenir également, en périphérie de la commission, Jacques Prévotat et surtout Nicolas Risso

Le programme est le suivant :
-          Introduction par Jean Charbonnel, ancien ministre
-          A travers les institutions ecclésiales, 1925-1970
· Les évêques en contact avec Michelet : la commission épiscopale, l’assemblée des cardinaux et évêques – Jacques Prévotat, professeur émérite à l’université Lille III
. Les prêtres en contact avec Michelet – Nicole Lemaitre et Pascal Bousseyroux, professeur au lycée Bernart de Ventadour d’Ussel

-          Au temps du concile Vatican II
. Le concile Vatican II et la France – Mgr Claude Bressolette, vicaire de l’Ordinariat des Églises orientales catholiques en France
. La réforme liturgique et les prières pour la République – Vincent Petit, université de Besançon
. Les sources de la spiritualité de Michelet et la manière de les vivre – Nicolas Risso, curé d’Objat
-          Les chrétiens dans la mondialisation
. La formation de chrétiens conscients (clercs et laïcs) – Pascal Bousseyroux
. L’œcuménisme et la liberté religieuse – Nicole Lemaitre
. Les conseillers d’Edmond Michelet
. Table ronde entre les intervenants et débat avec la salle
. Conclusion – Marguerite Léna, philosophe



Deux remarques liminaires :
-          Contrairement à ce qui s’était passé au colloque des Bernardins de décembre 2010 sur "Edmond Michelet, le chrétien en politique", il n’y a pas eu de distribution d’images pieuses à l’effigie d’Edmond Michelet.
-          Parmi les intervenants au colloque, uniquement des familiers de longue date d’Edmond Michelet : pas d’historiens des jeunes générations tels, au colloque de 2010, Guy Pervillé, Olivier Dard, Olivier Herbinet, Hugues Tertrais, Guillaume Gros ou Audrey Virot.
Monseigneur Bressolette a eu un engagement de dernière minute et n’a pu être présent. Sa communication écrite  a été lue en partie par Yves-Marie Hilaire
Vincent Petit, absent, sa communication n’a pas été présentée.


Introduction par Jean Charbonnel

Jean Charbonnel, familier des introductions des colloques consacrés à Edmond Michelet, a commencé son exposé en rappelant « quel homme extraordinaire fut Edmond Michelet ». « Toujours indulgent, il a été toujours très ferme sur les principes ». Il y avait chez lui « une dialectique entre le spirituel et le temporel, entre le mystique et le politique ». Et, comme l’écrit Péguy : « Il peut arriver que le spirituel couche dans le lit du temporel[2] ».

Selon Jean Charbonnel, il y a quatre éléments structurants dans la vie d’Edmond Michelet :
-          Le refus de l’Action française
-          Le refus du "régime de Vichy"
-          Le refus des institutions de la IVe République
-          Le refus de "l’Algérie de Debré"

Sur le premier point, Rome avait parlé : Edmond Michelet quitte l’Action française. Mais il restera un interlocuteur du Comte de Paris et, au fond, il est resté fidèle à la monarchie.
Sur le deuxième point, Jean Charbonnel mentionne « la fermeté héroïque » d’Edmond Michelet, n’insiste pas et renvoie à son livre "Rue de la Liberté".
Sur la période d’après-guerre, Jean Charbonnel rappelle qu’Edmond Michelet fut à l’origine de la première loi d’amnistie en 1950. En 1959, « Il eut le projet généreux et intelligent de confier à une équipe le soin de transférer la dépouille du maréchal Pétain à Verdun ». En 1963, sur intervention de Georges Lamirand, beau-père de Jean Bastien-Thiry, il s’est informé, avant son exécution, sur un possible séjour de celui-ci dans une maison de santé[3].  
Pour Jean Charbonnel, « l’intransigeance des partisans de Vichy et de l’O.A.S. ont fait échouer les initiatives d’Edmond Michelet ».
En 1945-46, Edmond Michelet entre très rapidement en conflit avec le MRP :
-          refus de Michelet d’accepter des institutions donnant le pouvoir absolu au législatif,
-          essais de recoller le RPF et le MRP.
Il aurait dit à Jean Charbonnel : « Ah, s’ils (Bidault, de Menthon…) m’avaient écouté, il y aurait eu 350 députés (RPF, UNR ?) ».
Sur l’Algérie, il y a eu superposition de deux points de vue chez Edmond Michelet : celui du patriote français qui aurait souhaité que l’Algérie demeurât française, aussi française que possible – à condition que ce soit sans déchirement et pas à n’importe quel prix – et celui du garde des Sceaux en charge de détenus F.L.N., puis de l’O.A.S. : les généraux ont fait un séjour involontaire à Tulle[4]. Il s’alarme du caractère que prend le conflit. Il obtient que les condamnés à mort du F.L.N. soient transférés d’Algérie en métropole et, pour ceux qui ne sont pas graciés, qu’ils soient fusillés et non plus guillotinés. Il a très rapidement des contacts avec les chefs de la rébellion, avec Ben Bella –décoré de la Légion d’honneur[5] pendant la Campagne d’Italie - via Rovan, Gosselin, Bourges. Cela lui vaut des lettres d’insulte de Michel Debré.

Pour conclure, Jean Charbonnel rappelle qu’Edmond Michelet est mort sur la route de Chartres[6] et il insiste sur la permanence des principes chez lui. L’homme politique chrétien se heurte aux réalités. Le dialogue temporel/spirituel est au cœur du personnage.

Commentaire : beaucoup d’approximations, de raccourcis, d’affirmations et interprétations discutables dans cet exposé de Jean Charbonnel, par ailleurs agréable à écouter.
·Toujours indulgent : au risque de se répéter, Edmond Michelet a été indulgent pour tous sauf pour les défenseurs de l’Algérie française. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient les seuls qui risquaient de faire chuter le général de Gaulle dans les années 60 et 61 et donc de mettre à bas celui dont Michelet disait : "Il était pour moi le monarque". Pour les gens de Vichy, de la Milice, de la Gestapo, du FLN : amnistie, libération, retour d’exil. Pour les chefs des partisans de l’Algérie française : la peine de mort. L’indulgence s’arrête quand le monarque est en jeu.
·Très ferme sur les principes : lesquels ?
. L’Action française : une incise de Jacques Prévotat, lors de son intervention, semble montrer que sa rupture avec l’Action française ne s’est pas faite dans des conditions aussi nettes que celles rapportées par Jean Charbonnel.
.Le conflit avec le MRP : Edmond Michelet est élu député MRP en novembre 1946. Le conflit voit son origine dans l’adhésion de Michelet à l’intergroupe parlementaire gaulliste de l’assemblée nationale en août 1947. Président de la fédération corrézienne du MRP, Il est exclu de ce mouvement le 12 novembre 1947.
·Bastien-Thiry, si l’on suit Jean Charbonnel, a été fusillé à cause de l’intransigeance de l’O.A.S.. Nous sommes en mars 1963 ; l’OAS[7] n’existe quasiment plus. Le chef de l’Etat n’y serait donc pour rien ? En ce qui concerne la possible intervention d’Edmond Michelet en sa faveur, seule la production d’archives irréfutables autoriserait à la confirmer. Beaucoup de choses sont affirmées et répétées de livres en colloques et de colloques en conférences – sans une base documentaire sérieuse – qui deviennent vérité d’Evangile. Ceci est vrai sur bien des points concernant Edmond Michelet ; faut-il rappeler que la méthode historique est une incessante remise en question et se fonde principalement sur l’examen, le recoupage et l’interprétation des archives ?


Jacques Prévotat : Edmond Michelet et les évêques et cardinaux

Invité par le président de séance, Jacques Prévotat indique, en préambule, la publication récente d’un numéro spécial du bulletin de la Société des amis d'Henri Irénée Marrou[8] consacré à ses carnets posthumes.
Jacques Prévotat organise son exposé en quatre parties :
-          aperçu général
-          les contacts personnels
-          les thèmes forts de discussion avec l’épiscopat
-          quelle image de l’Eglise peut-on tirer de ces contacts ?

Trois phases :
· 1920-1939  Cette période peut être qualifiée pour Michelet de "catholique et français toujours". Il n’a jamais séparé son catholicisme et son patriotisme. Jusqu’à la fin : voir dans son dernier livre, La querelle de la fidélité. Pour lui « Le patriotisme est une vertu chrétienne ».
· 1940-1958   Le fossé s’est creusé entre les chefs spirituels et les jeunes qui se sont engagés contre le national-socialisme. Il y a incompréhension entre eux, les évêques de 1940 n’ayant pas compris, selon Jacques Prévotat, l’aspect idéologique de la défaite.
·1958-1970   L’âge des responsabilités. Edmond Michelet veut des relations étroites entre l’Eglise et l’Etat. A partir de 1965, la convergence n’est pas acquise, l’épiscopat étant réticent

Contacts personnels avec les évêques
De Gaulle confie à Edmond Michelet des missions particulières. Exemple : que penser de Mgr Louis Simonneaux, nommé évêque de Versailles ?
Quatre évêques ont eu des rapports étroits avec Edmond Michelet :
· Mgr Chassaigne, évêque de Tulle de 1940 à 1962. C’était un maréchaliste indiscutable mais absolument pas collaborateur. Décidé à lutter contre ce qui est inacceptable, comme monseigneur Saliège, il a protesté contre le traitement et la déportation des juifs. Le 16 décembre 1948, Etienne Borne écrit à Edmond Michelet pour lui rapporter une conversation avec monseigneur Chassaigne. Celui-ci lui a fait part des soucis que lui cause Edmond Michelet (NdR : Edmond Michelet est passé au RPF et s’oppose fermement au MRP, mouvement bien vu de l’épiscopat).
· Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand de 1934 à 1952, lui aussi fervent maréchaliste, qui a été déporté à Dachau en raison de ses actions en faveur des juifs (de nombreux ont été cachés dans des institutions catholiques du diocèse). A Dachau, au Block 26, celui des prêtres, Monseigneur Piguet , fait unique, ordonne le séminariste Karl Leisner. Il est étonné de la manière non classique dont la communion est portée aux fidèles.
· Mgr Elchinger, coadjuteur puis évêque de Strasbourg de 1958 à 1984. Edmond Michelet a des relations étroites avec lui. En 1941, Léon-Arthur Elchinger avait été nommé supérieur du séminaire de Strasbourg replié à Clermont-Ferrand. En 1960, Mgr Elchinger dit d’Edmond Michelet, ministre de la justice : « Grâce à lui, ce ministère est un peu humain. »
· Mgr Gouet, secrétaire de l’épiscopat puis évêque auxiliaire de Paris. Un des correspondants d’Edmond Michelet dans l’épiscopat pendant Ses fonctions ministérielles. Quand Edmond Michelet est évincé du ministère de la Justice, Julien Gouet lui fait part de « la peine qu’il éprouve après son départ de la Place Vendôme ». Il loue les bonnes relations établies entre l’épiscopat et l’Etat. Quelques autres évêques (Mgr Rastouil, Mgr Chassaigne…) lui écrivent dans le même sens.
En mars 1959, alors que se prépare la loi Debré sur l’enseignement privé (contrats d’association), Monseigneur Cazaux, évêque de Luçon (de 1941 à 1967), l’un des plus vigoureux défenseurs de l’école libre catholique, remercie Edmond Michelet – alors ministre de la Justice – de l’avoir reçu. Et le 14 décembre 1959, huit évêques (MMgr Roques, Perrin, Puech, Cazaux, Blanchet, Villot, Cuminal, X.) sont réunis autour de Michel Debré sur la question scolaire ; Ils lui transmettent une note en huit points sur les spécificités de l’enseignement libre et sur leurs demandes associées.

Edmond Michelet a un regard de respect sur les chefs spirituels. A la libération, il trouve extravagante la proposition de Georges Bidault d’épurer 50 évêques (NdR : en réalité 30, finalement seuls trois d’entre eux furent éloignés). Il rédige cependant un texte, Remontrances à un évêque, en tant que catholique déboussolé par l’attitude de ses chefs spirituels.
Sur les prêtres-ouvriers, il se réfère aux jeunes prêtres partis en Allemagne avec le S.T.O. et qui se sont trouvés par la force des choses au d’ouvriers : ce sont « de jeunes apôtres ».

Sur l’Algérie – Edmond Michelet défend les prêtres qui "pratiquent l’hospitalité[9]"  (Souk-Ahras).
A propos de Monseigneur Duval, archevêque d’Alger, surnommé Mohamed Duval par les européens, Edmond Michelet précise qu’il serait, lui aussi, heureux d’être appelé Mohamed Duval[10]. En compagnie de François Mauriac et de Georges Bidault, il participe à la veillée de prières pour la paix organisée le 18 décembre 1960 à Notre Dame par le centre Richelieu et y prononce une intention de prière : « Sous ces voûtes de pierre qui virent s’élever, au printemps de notre patrie, les yeux du roi Saint Louis… »

Dans les années 1966 et suivantes – Inquiétudes sur l’évolution de l’Eglise de France. Lors de sa campagne électorale pour le siège de Quimper aux  élections de 1967, les séminaristes empêchent Malraux par des huées de prononcer une allocution de soutien à sa candidature.

L’Eglise de Michelet est tributaire de son expérience personnelle :
-          Dachau et l’Eglise des Catacombes
-          L’Action Catholique de la Jeunesse Française

Pour Michelet, l’Eglise est faite pour être vue et, éventuellement, mal vue. La vocation chrétienne de la France doit être affirmée. Il prend à son compte l’exhortation de saint Pie X : « Va, fille aînée de l’Eglise, va porter mon nom devant tous les peuples[11] ».
Les rapports de l’Eglise et de l’Etat doivent être sereins. L’Eglise n’est pas un pouvoir mais une puissance et une autorité.
Dans une enquête publiée dans un numéro de Fêtes et Saisons de 1967, Michelet, répondant au père Bro, distingue l’Eglise enseignante et l’Eglise enseignée. Pour lui, sans les sacrements, il est tout à fait impossible de se déclarer fidèle de l’Eglise. Il a découvert la beauté de la liturgie.
Il estime que les relations entre fidèles et ecclésiastiques sont difficiles, qu’il y a une barrière entre laïcs et prêtres. Il dresse un portrait du bon évêque : « Si j’étais évêque, je chercherais le contact permanent avec mes prêtres et mes fidèles dans les paroisses ».
Edmond Michelet estime qu’il faut encourager la liberté individuelle des laïcs ; ceux-ci ont la possibilité  d’adhérer à des partis politiques divers. Le passage à Dachau lui a montré que les laïcs pouvaient jouer un nouveau rôle dans l’Eglise.


Conclusion : Respect et écoute attentive des chefs spirituels. Seule réserve : indépendance de sa position (il cite souvent La Tour du Pin).
Il y a toujours une double appartenance chez Michelet ; exemple : proche des dominicains et de l’Action française. Lors d’un échange avec la salle après un exposé ultérieur, Jacques Prévotat a signalé qu’Agnès Brot, petite-fille de Michelet, lui avait indiqué qu’Edmond Michelet avait encore sa carte d’adhérent à l’Action française pour l’année 1928 (NdR : Jusqu’alors, il était admis que le dernier renouvellement de son adhésion à l’Action française était de 1927[12]). Jacques Prévotat ajoute : Il ne rompait pas tout de suite. Pas de rupture franche, également, avec le MRP en 1947. Explication avancée sur ce comportement: il a de l’intérêt pour les personnes et leur reste fidèle.

A une question sur le contenu de la réponse du cardinal Lefebvre, archevêque de Bourges, au "coup de gueule" d’Edmond Michelet en mars 1969 contre les évêques et en particulier contre Monseigneur Ancel, accusés, après avoir été pétainistes, de tomber dans le marxisme,  Jacques Prévotat donne quelques éléments de réponse. Le cardinal, dans une lettre de 32 pages, justifie d’abord sa conduite personnelle tant vis-à-vis du national-socialisme que du communisme. Sur le fond de la réponse, pas d’éléments précis. A noter que dès 1963, lors de la grande grève des mineurs, le soutien apporté par des évêques à ceux-ci avait rendu de Gaulle furieux.

Commentaire 
Exposé très intéressant et riche, ce qui n’est pas inattendu de la part de Jacques Prévotat. Celui-ci avait précisé, en début d’exposé, que le sujet est loin d’être épuisé : il y a encore une grande quantité de documents à dépouiller sur les relations d’Edmond Michelet et des évêques.
Une question se pose, celle de la cohérence de la position d’Edmond Michelet vis-à-vis de l’Eglise de France et de son épiscopat. Respect pour les chefs spirituels mais critique parfois acerbe de ses membres. L’épisode de 1969 mériterait à lui seul une étude. Il se situe un an avant la mort d’Edmond Michelet. Dans quel état d’esprit était-il vis-à-vis de l’épiscopat dans la dernière année de sa vie ? Une réponse du type « Edmond Michelet était un homme libre » serait incomplète.
Un point intéressant  a été soulevé, celui de la double appartenance d’Edmond Michelet que l’on retrouve à plusieurs tournants de sa vie : éloignement de l’Action française sans rupture totale, passage du MRP au RPF via le RPI, passage de l’Algérie française à l’Algérie FLN, passage de De Gaulle à Pompidou. Sur ce point, l’intervention d’Etienne Borne dans la discussion lors du colloque "La prison, pour quoi faire ?" tenu à Aubazine en 1979 apporte un élément supplémentaire (il s’agit de la période 1959-1961 durant laquelle Edmond Michelet est ministre de la Justice) : « Chez Edmond Michelet, il y avait une passion politique. Il représentait quelque chose, une ouverture qui était politiquement prématurée et qu’il fallait, pour des raisons de double jeu, masquer[13]… »



Nicole Lemaitre et Pascal Bousseyroux : Les prêtres en contact avec Michelet

Exposé en trois parties chronologiques et géographiques :
-          les prêtres de Corrèze
-          à Dachau
-          après 1945

Michelet a un fort ancrage personnel corrézien. Il y a deux types de relation avec les prêtres corréziens : les prêtres conseils et les prêtres diocésains.
· Parmi les prêtres "conseils" sont cités l’abbé Prévot d’Action française, l’aumônier de l’ACJF[14], le chanoine Bouyssonie et l’abbé Mamy, prêtre conseil du Cercle Duguet qui s’en éloigne[15].
· Parmi les prêtres diocésains, l’abbé Alvitre, issu du "Sillon", vicaire de Saint Sernin de Brive, et l’abbé Charles Lair, tous deux résistants, l’abbé X. que Michelet retrouve à Dachau et également des prêtres alsaciens et lorrains réfugiés, l’abbé Elchinger et l’abbé Paul-Joseph Schmitt qui, après la guerre, seront évêques, respectivement de Strasbourg et de Metz.
Plus tard, Edmond Michelet ministre des Anciens Combattants fera rénover plusieurs églises corréziennes dont la cathédrale de Tulle et il restera fortement impliqué dans la vie du diocèse.

Dachau est le camp de concentration des prêtres, principalement allemands, autrichiens et polonais mais également des diverses nationalités présentes dans le camp. Edmond Michelet veut être le Saint Tarcisius[16] des prêtres de Dachau. Laïc, il porte la communion aux déportés qui la désirent.
 Les prêtres-ouvriers, d’après Emile Poulat, sont nés à Dachau. C’est à Dachau que naît l’amitié entre le chanoine Daguzan, vicaire général du diocèse de Bayonne et Edmond Michelet. Il y retrouve l’abbé Sigala[17], l’un de ses compagnons de "Combat" en Dordogne.
Après la guerre, Michelet rend hommage à plusieurs prêtres, l’abbé Hénocque, déporté à Dachau, l’abbé Franz Stock qui l’avait soutenu spirituellement à la prison de Fresnes. L’amicale des anciens de Dachau, fondée par Michelet, accueille les prêtres déportés.  
Après 1945, cités en vrac, quelques-uns des propos tenus par les auteurs de la présentation :
Michelet se fait un modèle du prêtre français (NdR : lequel ?).
Il porte attention à la marche vers le sacerdoce.
Il est soucieux de la situation matérielle des prêtres afin qu’ils puissent se consacrer entièrement à leur ministère.
Il demande la grâce de condamnés à mort.
Il aide à la naturalisation de familles étrangères inscrites à Notre Dame de la Providence[18].
Il exalte la figure de Charles de Foucauld et est sensible à celle de Monseigneur Mercier[19].
Il a une attitude assez nuancée vis-à-vis des prêtres-ouvriers.
Il fréquente Jean-Pierre Gault, séminariste à Rome et plus tard pilier de l’association France-Algérie, l’abbé Delissalde, prêtre "baroudeur" en Indochine.
Il refuse l’attitude bien-pensante.
Il a une conception tridentine du prêtre : « Celui qui ne la respecterait pas rejoindrait la cohorte des infidèles ».

A une question sur les relations d’Edmond Michelet avec le chanoine Meyssignac, Pascal Bousseyroux répond que, dans les archives Michelet, il y a quelques lettres de lui, dont l’une de félicitations. Jean Charbonnel prend la parole. Le chanoine Meyssignac a été son curé à Saint Martin de Brive. C’était un homme délicieux. Il ajoute qu’il a été très marqué par l’aumônerie qu’il a exercée à la prison de Tulle ou étaient détenus les officiers et les généraux, ce qui lui a valu un certain nombre de conséquences désagréables. Certains à Brive l’ont beaucoup regretté.

Commentaire
Cet exposé  a été une avalanche, surtout de la part de Pascal Bousseyroux. L’auditeur a été noyé sous les noms, les dates, les événements. Il ne sait quelle conclusion tirer, quels éléments nouveaux ont pu être apportés à la connaissance d’un aspect-clé de la vie d’Edmond Michelet. Il faudra attendre une éventuelle publication de cet exposé pour l’examiner à tête reposée et essayer d’en tirer quelque enseignement.
La remarque de Jean Charbonnel sur les conséquences désagréables affectant le chanoine Meyssignac après son acceptation de l’aumônerie de la prison de Tulle vaut la peine d’être documentée. Edmond Michelet a-t-il joué un rôle dans un sens ou dans un autre à cette occasion ? Si oui, lequel ?

Mgr Claude Bressolette :  Le concile Vatican II et la France
En l’absence de Mgr Bressolette, Yves-Marie Hilaire lit l’exposé que celui-ci avait préparé tout en faisant quelques commentaires personnels. Selon Yves-Marie Hilaire, Michelet est très proche de Vatican II[20], en particulier sur deux aspects, celui de l’œcuménisme et celui de la liberté religieuse.
Le rôle joué par Michelet à l’ICCL – issu de l’ICL – et à sa "filiale" MIRC[21], fondée par lui, témoigne de son engagement dans l’œcuménisme (Cf. infra l’exposé de Nicole Lemaitre)
L’exposé est, en fait, un historique du concile Vatican II sans développement sur le rôle qu’ont pu  y jouer les participants français et sur ses conséquences sur l’Eglise de France.
Yves-Marie Hilaire a conclu sa lecture en notant « la grande amitié entre Edmond Michelet et Paul VI ».


Nicolas Risso : Les sources de la spiritualité de Michelet et la manière de les vivre

En suivant le parcours spirituel d’Edmond Michelet, Nicolas Risso distingue quatre sources dans sa spiritualité :
-          l’enfance et la famille,
-          l’Action Catholique de le Jeunesse Française (ACJF),
-          la spiritualité conjugale,
-          l’expérience concentrationnaire.

Sur l’enfance et la famille, Nicolas Risso rappelle les influences croisées de son père, dans la ligne du Sillon, et de sa mère, monarchiste et maurrassienne, tous deux fervents catholiques et qui  seront à l’origine de ses convictions humaines, morales, politiques et religieuses.
Son père aurait préparé Edmond Michelet à recevoir Péguy, en insistant sur le devoir d’Etat : faire son devoir d’Etat (Octave Michelet est épicier) du même cœur que les bâtisseurs de cathédrales. Il lui aurait appris la Prudence – vertu cardinale – à comprendre comme l’intelligence des situations, selon saint Bernard. Edmond subit le caractère emporté de son père, dont il héritera[22].
Son discours au cercle Saint-Sernin de Brive, le 10 mars 1921, se ressent de l’influence de sa mère, spécialement à propos de la liturgie. « Il fait l’apprentissage de la prière qui va nouer sa compréhension du monde et de l’Eglise. »

L’influence de l’ACJF se fait sentir dans divers textes. Un idéal fort est de donner sa vie pour la re-conversion de la France. Il faut des chrétiens dans le monde et pour le monde. Ceci incite Michelet à créer des groupes d’action catholique attirant de nouveau vers la foi. Il veut un cercle d’études dans chaque groupe. Il insiste également sur la piété, moyen d’intensifier sa vie spirituelle.
L’expérience de l’ACJF se retrouve dans toute sa vie : messe, prière qui fait grandir sa foi, avec une double perspective : missionnaire et caritative. L’apostrophe de Sa Sainteté Pie XI, « Pour être catholique, il faut d’abord être chrétien », résumerait parfaitement la foi de Michelet.
Pour lui, la spiritualité est le lieu qui unit, où l’on se rencontre. En ce sens, il est proche du père Maydieu, dominicain, de Jacques Maritain (le spirituel ne conduit pas au spiritualisme) et de Georges Hourdin.

L’amour d’Edmond Michelet pour son épouse constitue un socle dans la vie d’Edmond Michelet. Après la première rencontre avec celle qui sera sa femme (Marie Vialle), il s’agenouille devant une statue de Jeanne d’Arc et pense à Marie vue la veille. Il demande à Dieu de le guider (il en écrit le récit un an plus tard). C’est un événement fondateur. Sa vie conjugale est irriguée par la prière. Les deux époux se sont fixé des règles de vie commune ; ils ont une relation commune à la foi qui leur permet de traverser les difficultés de l’existence. Monseigneur Rivière, petit-fils d’Edmond Michelet, a témoigné de cette composante de la spiritualité d’Edmond Michelet[23].

Plus tard, quand il est détenu à la prison de Fresnes, dans les messages clandestins échangés avec son épouse, il lui demande de pardonner à celui qui l’a dénoncé. Dans sa cellule, à Fresnes, il s’est donné un emploi du temps où la prière tient la première place. Il a le soutien de l’abbé Franz Stock.
La seule issue à la perspective qu’il a  - mort ou déportation - est l’espérance chrétienne.
A Dachau, il incite les détenus au respect et à la dignité ; il introduit le vouvoiement. Au péril de sa vie, il porte la communion aux fidèles qui le souhaitent. Il privilégie le contact avec les autres détenus : La culture, la connaissance, le savoir-faire et le savoir-être doivent être échangés.
(Sur Fresnes et Dachau, lire d’Edmond Michelet "Rue de la Liberté", paru aux éditions du Seuil en 1955.)

A la suite de l’exposé sur les sources de la spiritualité d’Edmond Michelet, Nicolas Risso résume en une phrase dont il a le secret la personnalité d’Edmond Michelet : « Un homme ordinaire dont l’ambition est d’être un homme qui habite son existence ».
Il revient sur la jeunesse de Michelet et sur son départ de l’Action française. Il aurait subi l’influence de Maurice Blondel qui l’aurait éloigné du "positivisme" de l’Action française.
A propos des pèlerinages dont il était adepte, Edmond Michelet lie le mysticisme de ceux-ci au côté très réel de la marche à pied.
La question des exercices de Saint Ignace est venue au cours des échanges qui ont suivi l’exposé : Edmond Michelet les a-t-il pratiqués ? Certains notent qu’il y a de nombreuses lettres d’Edmond Michelet à tonalité ignacienne. Jacques Prévotat fait remarquer que l’antinazisme n’était pas seulement dominicain, il était également jésuite et invite à se référer à la thèse soutenue en 2005 par Jean Chaunu, Christianisme et totalitarismes en France dans l'entre-deux-guerres (1930-1940), publiée dans une maison d’édition marquée à droite[24] (dixit Jacques Prévotat).

Commentaire
Une remarque sur le titre de la communication : faut-il comprendre "la manière de la vivre" (la spiritualité) plutôt que "la manière de les vivre" (les sources, dont on ne comprend pas bien ce que cela pourrait signifier) ?
Etant donné le rythme rapide de l’orateur, il manque certainement à cette recension des éléments du discours de celui-ci. Les sources de la spiritualité d’Edmond Michelet sont identifiées. Les composantes de cette spiritualité sont mises en évidence. La manière de la vivre est approchée jusqu’à 1945. On aurait aimé un développement sur la manière dont Edmond Michelet a vécu cette spiritualité après novembre 1945 dans ses différents postes ministériels, en particulier à la Justice, car alors cette manière de la vivre a des conséquences sur des milliers, des centaines de milliers, voire des millions de ses concitoyens.


Pascal Bousseyroux : La formation de chrétiens conscients (clercs et laïcs)

En commençant son exposé, Pascal Bousseyroux présente Edmond Michelet par deux mots-clés : "militant" et "sentinelle".   
Jeune, il milite à la fois à l’Action française et à l’ACJF. L’ACJF lui apporte une devise : "La piété, l’étude, l’action". Elle lui apporte la spiritualité de l’amitié. Il s’ouvre à la diversité de la jeunesse au travers de la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC), de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) et de la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC). C’est alors qu’il dit : « Il faut perdre l’habitude de tout laisser au prêtre. L’ACJF, ce sont des laïcs avec des laïcs ; l’aumônier est un conseiller, pas un directeur ».
Avec Péguy, il a deux vocations : la chrétienté et la liberté. Il suit Maritain dans son décrochage de l’Action française, laquelle, selon Pascal Bousseyroux, a fait des ravages. Il reconnaît que le nationalisme peut avoir une connotation positive mais le nationalisme intégral, l’antisémitisme et l’anti-germanisme ne sont pas acceptables pour Edmond Michelet.
Aux Equipes sociales de Robert Garric, il se crée des amitiés exceptionnelles : le normalien Roger Dumaine, Antoine Martel, Etienne Borne, Pierre Ducrot (qu’il retrouvera au Secours National) et Georges Lamirand[25] (auteur de "Le rôle social de l’ingénieur").
Angoissé devant la montée du national-socialisme, il fait venir à Brive des conférenciers tels le père Maydieu, dominicain, et Georges Bidault.
En 1940, il entre au Secours National (créé en 1914 et réactivé en 1939) dont le commissaire général est Robert Garric et en est le délégué pour la ville de Brive. Les objectifs du Secours National sont de ravitailler, de loger et de trouver des emplois aux réfugiés. L’accueil des réfugiés d’Alsace-Lorraine le conforte dans sa haine du national-socialisme.
A Dachau, c’est le dépouillement mystique. Il y acquiert un sens de l’universel, antidote au nationalisme. Il écrira "Rue de la Liberté" dont il décida du titre après avoir pensé à "Victoire de l’homme" ou "Au-delà de la mort".
Après la guerre, il se veut "sentinelle des valeurs chrétiennes". Il souligne l’importance de l’engagement politique qui, pour lui, est un moyen de porter le souvenir des morts en déportation.
Cet engagement se fait rapidement sous la bannière gaulliste. Il considère que le lien entre catholicisme et gaullisme repose sur trois axes communs :
-          l’aide au tiers-monde,
-          la réduction des inégalités sociales,
-          l’apaisement des relations entre l’Eglise et l’Etat.
Il voit un lien consubstantiel entre gaullisme et catholicisme.
Dans les années 1950, il est fidèle aux retraites parlementaires. Il donne des conférences au séminaire de Versailles, au Rotary Club, en Allemagne, au Québec et y traite de la bombe atomique, du chrétien en politique, du nationalisme…
C’est un homme de réseaux. Il participe à la Semaine des Intellectuels Catholiques[26]. Il est proche de "Pax Romana" (Mouvement International des Intellectuels Catholiques) et aussi de certains "cercles de mémoire", tel celui honorant Robert Schuman. Il rend hommage à Marc Sangnier en qui il voit le réconciliateur entre le christianisme et la démocratie.
Il remet la légion d’honneur à des personnalités telles Georges Hourdin et Jean de Fabrègues, à des prêtres. Il participe à la défense de l’enseignement libre. Il pratique l’ouverture aux autres religions, tant en adhérant à France-Israël qu’en participant à des cérémonies communes avec l’Islam en l’honneur des sept saints dormants.
Ministre de la culture en 1969-1970, il s’interroge ; "Comment être chrétien ? " Quelle position prendre sur la représentation d’une pièce de théâtre tirée de La religieuse de Diderot ?
Pascal Bousseyroux fait aussi une allusion peu claire à une polémique sur la position d’Edmond Michelet, alors ministre de la Fonction publique, sur la proposition de loi de 1967 relative à la contraception non naturelle.

Commentaire 
Comme pour l’exposé précédent de Pascal Bousseyroux, l’auditeur est soumis à une dégelée de faits de dates, de noms. Une lecture à tête reposée de cette conférence permettrait d’y voir plus clair sur ce qu’il en ressort. Militant : oui. Sentinelle des valeurs chrétiennes : peut-être de certaines d’entre elles.
La vue de Michelet d’un lien consubstantiel entre gaullisme et catholicisme est, évidemment, la plus discutable[27]. Cela signifierait-il que gaullisme et catholicisme sont de même substance ? Si Edmond Michelet, catholique et parfaitement au fait de la signification de ce qualificatif, a réellement pensé et écrit cela, on ne peut que s’interroger sur sa conception du gaullisme ou sur sa conception du catholicisme.
En ce qui concerne la position d’Edmond Michelet sur la proposition de loi sur la contraception non naturelle[28] (qui a donné lieu à la loi Neuwirth), elle nous est connue par Alain Peyrefitte dans son ouvrage "C’était De Gaulle". Edmond Michelet considère la loi proposée comme une régression : « La femme est une personne, elle va devenir une chose. » Cependant, il reste au gouvernement et ne prend pas de position publique contre cette loi[29].


Nicole Lemaitre : L’œcuménisme et la liberté religieuse

En introduction, Nicole Lemaitre indique que son exposé a été enrichi d’une contribution de Jean-Dominique Durand. Elle présente Edmond Michelet comme un homme international. Quelques exemples : avant la seconde guerre mondiale, il a des contacts avec des juifs allemands et des protestants. A Combat, en Région 5, il y a plusieurs nationalités. A Dachau, il côtoie le pasteur allemand Martin Niemöller.
Edmond Michelet est un acteur de l’œcuménisme. Initialement au travers de l’ICCL (International Council for Christian Leadership), dont les archives sont aujourd’hui à la Fondation Billy Graham. Il est séduit par la lutte de l’ICCL, au nom de la foi chrétienne, contre le maccarthysme dans lequel il voit un embryon d’empire totalitaire.
La conférence mondiale de l’ICCL en 1954 s’appuie sur l’épitre de Saint Paul aux Corinthiens[30] : « …si je n’ai pas la charité, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit… ». C’est par la charité que nous allons nous distinguer. Michelet se veut un frère universel[31], assoiffé de pardon et de charité et réconciliateur. Il a vécu l’œcuménisme à Dachau entre 1943 et 1945. Il s’interroge sur la responsabilité sociale du chrétien en politique.
Il est introduit à l’ICCL en 1954 grâce à un ami de L’U.N.E.S.C.O., François Dausset, alors que lui-même fait partie de la délégation française à l’ONU. Edmond Michelet considère le pasteur Abraham Verheide, fondateur de l’ICCL comme son second père. Le mouvement, parti de Seatlle, compte alors 7500 membres aux Etats-Unis. Sa présidente d’honneur est la reine Wilhelmine des Pays-Bas. Il se manifeste par des réunions de "décideurs" priant ensemble. L’ICCL (alors ICL[32]) s’installe en 1941 à Washington. Il s’y tient des petits déjeuners de prière – y compris à la Maison Blanche avec Eisenhower et Nixon – animés par Billy Graham.
Edmond Michelet participe en 1954 à la conférence de Noordwijk aux Pays-Bas. Il y fait un exposé sur "La famille des nations et les besoins du monde". Le groupe aurait été impliqué dans la diffusion du concept de l’Europe des nations, concept voisin des vues de De Gaulle sur l’Europe : « La seule patrie collective n’est pas de ce monde mais de l’autre ». Lors des réunions internationales des invocations sont faites, comme celle-ci à la conférence de Royaumont en 1955 : « Les Français prieront pour une Allemagne comme Dieu la veut et les Allemands prieront pour une France comme Dieu la veut ». .  En 1962, Edmond Michelet devient président mondial de l’ICCL. Lui, catholique, se trouve donc à la présidence d’une organisation d’origine et très majoritairement protestante.
Edmond Michelet crée aussi le M.I.R.C., Mouvement International de Responsables Chrétiens, comme prolongement de l’ICCL. Le terme "Responsables" est choisi à dessein (non pas "Dirigeants"). Il est ouvert aux catholiques, aux protestants et aux orthodoxes. Dans un souci de dialogue, Luther et Calvin sont reconnus comme raisonnables dans leurs critiques de l’Eglise de leur temps. L’idée de base est : la fraternité des militants est capable de changer le monde par des moyens autres que des leviers politiques. Edmond Michelet en est le président de 1962 à 1970. Il s’y investit complètement et tente de lancer, sans succès, les petits déjeuners de prière au parlement français: De Gaulle n’est pas d’accord.
Il fixe trois orientations majeures :
-          l’œcuménisme, en liaison avec Taizé,
-          la réconciliation européenne, liée à l’œcuménisme (catholiques français et protestants allemands),
-          le développement (projets avec Taizé)
Edmond Michelet est resté très lié à Abraham Verheide jusqu’à sa mort[33] mais s’était écarté de l’ICCL qui suivait une dérive "C.I.A.".
En conclusion, Nicole Lemaître indique qu’Edmond Michelet aurait aimé que son rôle international fût mis en valeur. Il considérait que c’était l’un des plus importants qu’il ait joué.

Commentaire
Exposé structuré et intéressant sur un aspect peu mis en valeur de l’activité d’Edmond Michelet. Celui-ci pratique l’œcuménisme dans sa composante pratique de prières en commun, de rapprochement sur des projets concrets. Il serait intéressant de connaître la position d’Edmond Michelet sur la composante théologique de son œcuménisme, composante-clé s’il en est.
Il reste également à étudier un autre aspect de l’activité internationale d’Edmond Michelet, c’est son rôle au sein du Centre Européen de Documentation et d’Information (C.E.D.I.) qu’il a présidé de 1962 à 1964.
Sur la liberté religieuse, pas de développement. Quel était le point de vue de Michelet sur cette question toujours sensible au sein de l’Eglise catholique ?


Hélène Say : Les conseillers d’Edmond Michelet

Hélène Say précise qu’il s’agit des conseillers d’Edmond Michelet dans le domaine public.
Trois parties dans son exposé, correspondant à trois phases de sa vie :
-          dans les Equipes sociales et lors de sa formation spirituelle
-          lors de sa captivité et de sa déportation
-          lorsqu’il est ministre et parlementaire
Des dominicains sont ses principaux conseillers dans la première phase et une partie de la deuxième.
Dans la deuxième phase, il y a d’autres conseillers, tel l’abbé Stock.
Dans la troisième phase, Edmond Michelet devient une référence dans l’Eglise.

Le père Maydieu, dominicain, devient l’ami de Michelet. Il est son contemporain et comme lui vient de l’Action française. Il fait partie du comité de rédaction de  Sept, puis de Temps présent après le sabordage de Sept en 1937 faisant suite aux remontrances du Vatican. Dès l’armistice de juin 1940, le père Maydieu, comme Edmond Michelet, entre en résistance. Après la guerre et la résistance, il jouit d’une forte image. Maydieu ne conseille pas explicitement, il met en relation, il indique des pistes. C’est un lanceur de passerelles. On pourrait peut-être en dire autant de Michelet. Maydieu meurt en 1955. Deux autres dominicains des Editions du Cerf du boulevard Latour-Maubourg sont en relation avec Michelet : les pères Carré et D..?

De la captivité à Fresnes et du séjour à Dachau, Hélène Say retient les figures de trois prêtres :
-          Franz Stock
-          Léon Fabing
-          Jacques Sommet.
On connaît la relation entre Edmond Michelet et Franz Stock à Fresnes. Pour Hélène Say, les visites  de Franz Stock à Edmond Michelet dans sa cellule pourraient être appelées "visitations". La relation nouée avec Franz Stock aurait conduit Edmond Michelet à anticiper la réconciliation franco-allemande.
Le père Léon Fabing, prêtre du diocèse de Metz, avait été arrêté par la Gestapo en 1942 et transféré à Dachau en novembre de cette année. Il y fit connaissance du père Josef Kenterich, prêtre allemand du block 26. Le père Josef Kenterich, était le fondateur du mouvement de Schönstatt.  « Il n’était pas un patriote chauvin, mais ne mettait  pas non plus sa nationalité dans sa poche et avait conscience des blessures et des épreuves de sa nation sans aucune haine ou mépris pour les particularismes des autres nations. Il était un des rares prêtres et intellectuels allemands qui n’était pas atteint par les ténèbres du pangermanisme[34].» C’est aussi pour Edmond Michelet une préparation à la réconciliation franco-allemande.
Le père Jacques Sommet, jésuite, également déporté à Dachau, est impliqué, auprès d’Edmond Michelet, dans les débuts de ce qui est devenue plus tard "L’affaire Touvier". Paul Touvier a obtenu, par l’intermédiaire du père Arminjon, un rendez-vous de Jacques Sommet en 1960. Il lui demande d’intervenir auprès d’Edmond Michelet, ministre de la Justice, pour demander à bénéficier d’une mesure d’amnistie (il a été condamné à mort après la libération en tant que milicien et s’est caché depuis lors). Le père Sommet, qui a eu une mauvaise impression de Paul Touvier, accepte cependant d’attirer l’attention du ministre sur le cas de celui-ci. La réponse d’Edmond Michelet – suivant l’avis plus que réticent de son conseiller technique, Marcel Ellisalde – est négative[35], ceci en dépit de pressions ou suggestions en provenance d’une partie de la hiérarchie catholique[36].

A partir de 1960, ministre, il est largement sollicité par de nombreux ecclésiastiques de plusieurs cercles :
-          les dominicains
-          les anciens de Dachau
-          la hiérarchie ecclésiastique

Pour Hélène Say, Edmond Michelet s’est toujours entouré de conseillers libres. Elle conclut son exposé avec cette formule : « Michelet est un héros et héraut ! »

Commentaire
Exposé mettant en valeur des figures d’ecclésiastiques hors du commun et qui incite à s’informer plus
complètement sur leurs personnalités et leurs spiritualités.
Mais pourquoi terminer par cette formule sur Michelet ?  L’historien ne porte pas de jugement moral. Et pourquoi parler de « Visitation » à propos des visites de l’abbé Stock à Edmond Michelet ?  L’abbé Stock serait-il Marie et Michelet Elisabeth[37] ?
Quant à Michelet et Touvier, on sent dans les propos d’Hélène Say le désir d’éloigner ce personnage sulfureux d’Edmond Michelet. Or, après prescription en 1967 de ses deux condamnations à mort, Paul Touvier sera plusieurs fois en relation avec Edmond Michelet lequel dans une lettre du 3 avril 1970, commençant par « Cher ami », l’invitera à prendre rendez-vous avec lui via sa secrétaire particulière. A la suite de quoi, le 19 mai 1970, Paul Touvier rencontre assez longuement à son domicile de Brive Edmond Michelet qui l’aiguille sur son directeur de cabinet Roger Dumaine. Paul Touvier et sa famille auraient, de plus, assisté aux obsèques d’Edmond Michelet à Brive, le 13 octobre 1970.



Commentaire global

Cette journée d’étude a été instructive. Pour ceux ne connaissant pas Edmond Michelet – vraisemblablement peu nombreux dans l’assistance d’une quarantaine de personnes – elle a été l’occasion de prendre connaissance de cet aspect primordial de sa vie : ses relations avec l’Eglise tout au long de sa vie.
Pour les autres, elle a permis d’attirer l’attention sur des personnalités riches et très variées de l’Eglise de France d’avant et d’après la seconde guerre mondiale et, également, sur certains ecclésiastiques allemands. 
Les objectifs de cette journée d’étude ont-ils étaient atteints ?
En reprenant les termes de sa présentation par l’évêché de Tulle :
-          Ce colloque examinera les domaines dans lesquels le meneur d’hommes, l’éducateur, le prisonnier, le ministre, le chrétien, a eu à intervenir. On observera son rapport avec les hommes et les femmes de foi et d’Eglise qui ont accompagné ses engagements et suscité son action et sa réflexionOn y a peu vu Edmond Michelet meneur d’hommes ou éducateur. L’a-t-il été ?En revanche ses rapports avec les hommes de foi – peu les femmes à part son épouse – ont été largement présentés.-          Cette journée sera l’occasion d’essayer de comprendre les justes articulations qu’il peut y avoir entre liberté de conscience, foi et responsabilité politiqueCet objectif a été partiellement atteint, pour Edmond Michelet, en ce qui concerne l’articulation entre liberté de conscience et foi. L’articulation entre les deux premiers termes et le troisième n’a pas été traitée. Elle n’avait été qu’effleurée au Colloque des Bernardins de décembre 2010. Le gaullisme "intégral"  revendiqué par Edmond Michelet n’a pu que mettre une barrière entre, d’une part, liberté de conscience et foi et, d’autre part, responsabilité politique. A moins de considérer, comme l’a rapporté Pascal Bousseyroux, que gaullisme et catholicisme sont "consubstantiels". Cela ne fait cependant pas aujourd’hui partie des dogmes de l’Eglise catholique.-          l’attitude politique et chrétienne d’Edmond Michelet peut, aujourd’hui, nourrir le discernement politique de bien des chrétiens.Il s’agit d’une affirmation gratuite. Plusieurs exemples montrent les faillites du discernement politique d’Edmond Michelet :·En 1948, il propose la candidature du général Peron, président de la République d’Argentine, au comité chargé d’attribuer le prix Nobel de la paix.·Lors de son voyage en Chine en 1955, il est "impressionné par la volonté de démocratisation culturelle du nouveau régime".·En 1956, il considère que le colonel Nasser est un "méprisable homme d’état qui dirige provisoirement au Caire les institutions de son pays et les destinées de l’Egypte".·Au cours du conflit algérien, il ne comprend pas la vraie nature du F.L.N. ; le F.L.N. n’est pas Fehrat Abbas mais Houari Boumedienne – et certains l’ont bien vu ; avec les conséquences dramatiques s’en suivant pour les populations européennes et les harkis. Etc.

Ce que l’on peut regretter dans ce colloque, c’est l’absence de présentations par des historiens de générations plus récentes. Quelles que soient les grandes qualités des intervenants, ils n’ont pas, à peu d’exceptions près, de regard neuf sur Edmond Michelet. Ils font tous plus ou moins partie de la commission historique nommée par Monseigneur Charrier et, très naturellement – on ne peut leur en vouloir – partagent des vues communes, favorables à la cause de béatification d’Edmond Michelet. Un peu familièrement, on peut dire que cela "tourne en rond".
Cela se traduit par  un certain escamotage des "sujets qui fâchent". On peut en citer quelques-uns qui ont fait surface quelques secondes avant de disparaître ou qui n’ont pas du tout fait surface :
-          Sous l’expression "rupture en deux temps", n’y a-t-il pas en réalité double jeu – conscient ou non avoué ?  Cela a été noté à propos de l’Action française ; cela ne s’applique-t-il pas au passage du MRP au RPF et, surtout, à la position d’Edmond Michelet sur le sort de l’Algérie ?
Etienne Borne, non suspect d’animosité envers Edmond Michelet, l’a noté :
Chez Edmond Michelet, il y avait une passion politique. Il représentait quelque chose, une ouverture qui était politiquement prématurée et qu’il fallait, pour des raisons de double jeu, masquer.
-          Le "coup de gueule" d’Edmond Michelet contre les évêques français en 1969 n’a été évoqué au cours de cette journée que grâce à la question d’un auditeur. Or cet épisode était en plein cœur de sujet de la journée d’étude et il n’est pas anecdotique dans la relation avec les évêques.
-          Il a été fait allusion à une polémique à propos de la question de la "pilule". Pourquoi ne pas avoir traité cette question qui est un cas type de la responsabilité du chrétien en politique ? Elle met en jeu le magistère de l’Eglise représenté par Sa Sainteté Paul VI, un chrétien ministre de la République et le président de la République.
-          Un autre cas auquel il n’a pas été fait allusion est au cœur de la question car il s’agit de la vie et de la mort d’hommes, c’est celui du rétablissement par ordonnance de la peine de mort pour crimes politiques signé par Edmond Michelet en 1960 et de son application en 1961. Pourquoi ne pas traiter à fond ce sujet qui est un sujet fort ?

Espérons que, comme le mentionnait en a parte le père Risso au début de cette journée, l’on puisse tenir des colloques non hagiographiques sur Edmond Michelet. Non seulement non hagiographiques mais aussi creusant à fond tous les sujets, y compris les plus sensibles.
Et rappelons-nous les propos de Monseigneur Pierre Raffin, évêque de Metz, lors de la clôture en 2004 de l’enquête diocésaine concernant la cause de béatification de Robert Schuman :
"Je vous invite tous à imiter sa patience[38] et, quel que soit votre enthousiasme pour cette cause, à éviter les travers d’une hagiographie facile. S’agissant d’un père de l’Europe et d’un homme politique, le jugement de l’Eglise sera d’autant plus crédible qu’il s’appuiera sur des dossiers irréfutables".
Et encore :
"A mon avis, l’étude de la cause par la Congrégation pour les Causes des Saints prendra du temps. Tout en voyant l’intérêt d’une telle cause pour l’Europe et la réhabilitation de la fonction politique, je souhaite que l’Eglise procède avec la plus grande rigueur, sans rien précipiter, d’autant plus que la fama sanctitatis du Serviteur de Dieu, en dehors de petits cercles fervents, est très peu développée".
Mutatis mutandis, ces paroles s’appliquent parfaitement à la cause d’Edmond Michelet. Et la clôture de l’enquête – si elle est exhaustive – réservera des surprises à ceux qui ont "l’hagiographie facile".  



[1] On pourrait même dire : « élaboré et rédigé »
[2] La citation exacte est : « La spiritualité couche dans le lit de camp du temporel ».
[3] Les experts nommés lors de l’instruction de son procès ont déclaré Jean Bastien-Thiry parfaitement sain d’esprit
[4] à moins de vingt kilomètres d’Aubazine
[5] En réalité, Ahmed Ben Bella, sous-officier, a été décoré de la médaille militaire et non de la Légion d’honneur
[6] Il y est frappé d’une congestion cérébrale et décède quelques jours plus tard à Marcillac
[7] dont Bastien-Thiry n’a pas fait partie
[8] Henri Irénée Marrou (1904-1977), normalien, historien de la pensée chrétienne dans l’histoire
[9] Bel euphémisme pour désigner une complicité – consciente ou objective – avec des hommes du F.L.N. dont l’un des principaux moyens d’action est le terrorisme le plus sanglant.
[10] Duval est aussi le pseudonyme d’Edmond Michelet dans la résistance.
[11] "Un jour viendra, et nous espérons qu'il n'est pas très éloigné, où la France, comme Saül sur le chemin de Damas, sera enveloppée d'une lumière céleste et entendra une voix qui lui répètera : "Ma fille, pourquoi me persécutes-tu ?" Et sur la réponse : "Qui es-tu Seigneur ?", la voix répliquera : "Je suis Jésus que tu persécutes. Il t'est dur de regimber contre l'aiguillon, parce que dans ton obstination, tu te ruines toi-même." Et elle, tremblante et étonnée, dira : "Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?" Et lui : "Lève-toi, lave tes souillures qui t'ont défigurée, réveille dans ton sein tes sentiments assoupis et le pacte de notre alliance, et va, fille aînée de l'Eglise, nation prédestinée, vase d'élection, va porter, comme par le passé, mon nom devant tous les peuples et tous les rois de la terre." (Saint Pie X, le 13 décembre 1908, lors de la lecture du décret de béatification de Jeanne d'Arc)
[12] Condamnation de l’Action française par Pie XI en 1926, sanctions canoniques contre les ligueurs le 8 mars 1927
[13] La Prison pour quoi faire ?   P. Orvain, P. Aymard, R.Schmelck, J. Hertevent, P.Martelot, p. 29, Edition S.O.S., 1980
[14] ACJF : Action Catholique de la Jeunesse Française
[15] en raison de sa politisation et de l’autoritarisme d’Edmond Michelet
[16] Jeune acolyte romain de Dyonisus au IIIe siècle, mort martyr en portant clandestinement la communion à des prisonniers chrétiens
[17] Daniel Garrigue, ancien député et maire de Bergerac, présent lors de la conférence, rapporte que l’abbé Sigala, après la libération, a fait exécuter à Bergerac une religieuse  collaboratrice.
[18] à Ussel
[19] Préfet apostolique puis évêque de Laghouat de 1941 à 1968
[20] Pendant toute la durée du concile Vatican II, Edmond Michelet est membre du conseil constitutionnel, instance à laquelle il a été nommé le 17 février 1962 par Jacques Chaban-Delmas
[21] ICCL : International Council for Christian Leadership, fondé par le pasteur méthodiste Abraham Verheide ; MIRC : Mouvement International des Responsables Chrétiens
[22] La colère de l’homme n’accomplit pas ce que Dieu attend du juste – Lettre de Saint Jacques (1, 19-27)
[23] Prier 15 jours avec Edmond et Marie Michelet, édité par Nouvelle Cité
[24] Il s’agit des Editions François-Xavier de Guibert
[25] Centralien, disciple de Liautey, secrétaire d’Etat à la jeunesse de septembre 1940 à mars 1943, beau-père de Jean Bastien-Thiry.
[26] En mars 1957, une réunion est consacrée au livre de Pierre-Henri Simon, Contre la torture. Edmond Michelet préside une séance houleuse au cours de laquelle Louis Terrenoire et Michel Massenet s’opposent à Pierre-Henri Simon, Georges Hourdin et Henri-Irénée Marrou. Cela décidera Edmond Michelet à écrire : "Contre la guerre civile"
[27] Consubstantiel : adj. THÉOL. D’une seule et même substance (Petit Larousse).
[28] condamnée par tous les papes depuis Pie XI jusqu’à Benoît XVI, en particulier dans l’Encyclique Humanae Vitae de Paul VI
[29] Un chapitre est consacré à cette question dans L’autre visage d’Edmond Michelet, publié en 2012 chez Via Romana
[31] en référence à Charles de Foucauld
[32] L’ICL est l’entité juridique américaine initiale ; l’ICCL est l’entité juridique internationale supervisant les groupes nationaux, fondée en 1947 en parallèle à l’ICL  et en étroite symbiose avec celle-ci.
[33] intervenue en mai 1969
[34] Lettre du 3 août 1954 du père Léon Fabing à l’abbé Dresbach, citée dans le bulletin n°8 de novembre 2010 du Cercle international Carl Leisner
[35] « … les faits ayant entraîné la condamnation ne sont pas de ceux dont la législation en vigueur permet l’amnistie.. »
[36]  Sont couramment cités les noms de Mgr Duquaire, Mgr Lalande, Mgr Ancel, Mgr Villot, Mgr Rhodain, Mgr Gouet.
[37] Ou bien Hélène Say fait-elle allusion à « La Visitation de l’étranger », expérience mystique vécue par Louis Massignon le 3 mai 1908, première étape de sa conversion ?  Edmond Michelet a, lui, une foi solide lors de sa détention à Fresnes.
[38] La patience de l’Eglise