Affiche
d’invitation aux Journées d’Etude Edmond Michelet
Les
28, 29 et 30 septembre se sont tenues diverses manifestations à
Brive-la-Gaillarde et à Aubazine :
-
Le 28 septembre, à l’école Bossuet de Brive, une
conférence de Monseigneur Bernard Ardura, président du Comité pontifical des
Sciences historiques à Rome, intitulée : « Les pères de
l’Europe, une spiritualité au service du bien commun »,
-
Le 29 septembre, à l’abbatiale Saint Etienne
d’Aubazine, la journée d’étude proprement dite, intitulée : « Edmond
Michelet et l’Eglise »
-
Le 30 septembre, une messe dans l’abbatiale
présidée par Monseigneur Bernard Charrier, Evêque de Tulle
CONFERENCE DE MONSEIGNEUR ARDURA
La conférence de
Monseigneur Ardura centrée sur les figures de Robert Schuman, Konrad Adenauer
et Alcide de Gasperi, spécialement passionnante dans le contexte actuel, a
remis en perspective les intentions fondatrices des « pères de
l’Europe » et l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui, soixante ans plus
tard.
Monseigneur Ardura
connaît parfaitement Robert Schuman. Il est, à Rome, le responsable de
l’enquête canonique de sa béatification, le dossier ayant été transmis à la
Congrégation pour la cause des saints après clôture en 2004 de la phase
diocésaine par Monseigneur Raffin, évêque de Metz.
Dans son
introduction, Monseigneur Ardura a souligné l’actualité du thème de l’Europe et
l’intérêt de se pencher aujourd’hui sur ses origines, après la guerre de
1939-1945.
Son propos porte
successivement sur les trois « pères de l’Europe », à savoir Robert
Schuman, Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi.
Les trois hommes ont
des points communs :
-
Ils ont grandi non loin des frontières ;
Schuman à Luxembourg, Adenauer à Cologne (à 60 km de la Belgique et des
Pays-Bas et dont il sera le bourgmestre) et de Gasperi à Pieve Tesino dans le
Haut-Adige alors autrichien
-
Ils ont combattu les totalitarismes fasciste et
national-socialiste : Schuman est interné par la Gestapo au début de
l’occupation et détenu à Metz et à Neustadt, Adenauer est emprisonné en 1934 et
en 1944, Alcide de Gasperi en 1927-28.
-
Ils sont tous trois catholiques pratiquants.
NdR : On pourrait ajouter qu’ils sont de la
même génération et ont connu les deux guerres, celle de 1914-1918 et celle de
1939-1945.
Monseigneur Ardura développe ensuite les éléments
marquants de la biographie de Robert Schuman, depuis sa naissance, Français à
Luxembourg en 1884, Allemand jusqu’en
1918, jusqu’à ses fonctions ministérielles des années 50. Il est président du
Conseil en 1947, puis ministre des affaires étrangères sans discontinuer de
1948 à 1953 dans huit ministères différents. Robert Schuman est à la croisée de
deux cultures, la française et l’allemande, dont il considère les oppositions
comme non irréductibles. Ceci le prépare à son action future en faveur de la
réconciliation franco-allemande et de la création d’une Europe unie. En parallèle
à son action politique et en pleine cohérence avec celle-ci, il développe une
spiritualité à base d’étude quotidienne de la Bible, de récitation du rosaire,
sous l’influence de Léon XIII et de Pie X. Il acquiert le sens du service de
Dieu et de la société. En 1911, il s’était interrogé sur une possible vocation
sacerdotale. Sa vocation n’étant pas avérée, il reste cependant célibataire
pour pouvoir se consacrer pleinement au service de Dieu et du bien commun.
Son action fondatrice en ce qui concerne l’Europe
est ce qui s’est appelé « le plan Schuman » exposé dans la
« Déclaration Schuman » du 9 mai 1950. Robert Schuman, ministre des
Affaires étrangères dans le cabinet Georges Bidault, inspiré par Jean Monnet[1],
propose de créer une organisation européenne ayant pour mission de mettre en
commun les productions françaises et allemandes de charbon et d’acier. Il
s’agissait surtout d’empêcher le retour d’une guerre entre la France et l’Allemagne
en mettant en commun les moyens industriels à la base de la production
d’armements. Avec pour objectif plus lointain de progresser vers une union de
l’Europe. Cette déclaration est considérée comme le texte fondateur de la
construction européenne.
L’accord immédiat de Konrad Adenauer enclenche le
processus qui, le 18 avril 1951, par le traité de Paris, conduit à la
Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (C.E.C.A.) entre France,
Allemagne, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas.
Après avoir mentionné les éléments biographiques
principaux concernant Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi, Monseigneur Ardura
rappelle qu’ils ont pour objectif, après la seconde guerre mondiale, de faire
revenir leurs pays, matériellement et moralement en lambeaux, dans le concert
des nations.
Ils saisissent la main tendue par Robert Schuman.
Tous trois se rencontrent dans la vision qu’ils ont de la construction
européenne : « une entreprise d’ordre moral », « une
spiritualité au service du bien commun », « la paix par la réconciliation ». « L’Europe n’est pas une entité
géographique ; elle a une dimension spirituelle, fruit d’un long
développement».
Pour Monseigneur Ardura, L’Europe est la portion du
continent euro-asiatique qui a été évangélisée. Il considère que les racines
chrétiennes de l’Europe, au sens de construction politique, sont dans la
chrétienté des hommes d’Etat qui ont engagé le processus de son union.
En conclusion, cette conférence étant prononcée
dans le cadre de Journées d’études Edmond Michelet, Monseigneur Ardura évoque
en une phrase la figure d’Edmond Michelet qui n’a pas eu du tout la même
conception de l’Europe que Robert Schuman.
Une séance de
questions et réponses a suivi la conférence, durant laquelle la grande
culture historique de Monseigneur Ardura et son humour discret ont été fort
appréciés.
A une question sur la position de Robert Schuman
vis-à-vis de la Communauté Européenne de Défense, Monseigneur Ardura répond
qu’il était en sa faveur, dans le même esprit que pour le charbon et
l’acier : unifier concrètement tout ce qui avait divisé l’Allemagne et la
France, la Défense en l’occurrence. (NdR :
Edmond Michelet, les gaullistes et les communistes étaient violemment contre la
Communauté Européenne de Défense)
Plusieurs questions sur l’Europe, sa délimitation
géographique et ses racines chrétiennes. On sentait dans l’assistance un
profond questionnement sur l’Europe et l’Union Européenne telles qu’elles se
présentent aujourd’hui en regard de la vision qu’en avaient les « pères de
l’Europe » dans les années 1950.
_______________________________
EDMOND
MICHELET ET L’EGLISE
Cette journée d’étude avait été largement annoncée
dans la presse locale, La Montagne et La Vie Corrézienne. L’évêché de Tulle a
présenté cette journée par le communiqué de presse ci-après, publié sur son
site Internet.
Cette
rencontre est organisée par la Commission historique pour la béatification d’E. MICHELET et le diocèse de TULLE.
E. MICHELET fut
un catholique convaincu
tout au long de sa vie. Mais il fut aussi un chrétien conscient de sa
responsabilité individuelle dans le monde. Ce colloque examinera les domaines
dans lesquels le meneur d’hommes, l’éducateur, le prisonnier, le ministre, le
chrétien, a eu à intervenir. On observera son rapport avec les hommes et les
femmes de foi et d’Eglise qui ont accompagné ses engagements et suscité son
action et sa réflexion.
Cette
journée sera l’occasion d’essayer de comprendre les justes articulations qu’il
peut y avoir entre liberté de conscience, foi et responsabilité politique. Il
est à relever que l’attitude politique et chrétienne d’Edmond MICHELET peut,
aujourd’hui, nourrir le discernement politique de bien des chrétiens.
La
quête politique et chrétienne d’Edmond Michelet était
fondée sur la "recherche du bien commun".
Le programme de cette journée a été élaboré par la
commission historique, nommée par Monseigneur Charrier comme le veut la
procédure relative à une cause de béatification.
La commission historique est, sauf erreur,
constituée ainsi :
-
Nicole Lemaitre, professeur émérite de
L’université Paris I,
-
Yves-Marie Hilaire, professeur émérite de
l’université Lille III,
-
Jean-Marie Mayeur, professeur émérite de
l’université Paris IV
-
Philippe Boutry, professeur à l’université Paris
I et président de cette université
-
Hélène Say, directeur des archives
départementales de Meurthe et Moselle
-
Jean-Marc Ticchi, membre associé au CARE (Centre
d’anthropologie religieuse européenne), responsable de la division de la
législation comparée à la Direction de l’initiative parlementaire et des
délégations du Sénat et secrétaire exécutif du groupe sénatorial d’amitié
France-Vatican.
Semblent
intervenir également, en périphérie de la commission, Jacques Prévotat et surtout
Nicolas Risso
Le programme est le suivant :
-
Introduction par Jean Charbonnel, ancien
ministre
-
A travers les institutions ecclésiales,
1925-1970
· Les évêques
en contact avec Michelet : la commission épiscopale, l’assemblée des
cardinaux et évêques – Jacques Prévotat, professeur émérite à l’université
Lille III
. Les prêtres
en contact avec Michelet – Nicole Lemaitre et Pascal Bousseyroux, professeur au
lycée Bernart de Ventadour d’Ussel
-
Au temps du concile Vatican II
. Le concile Vatican II et la France –
Mgr Claude Bressolette, vicaire de l’Ordinariat
des Églises orientales catholiques en France
. La réforme
liturgique et les prières pour la République – Vincent Petit, université de
Besançon
. Les sources de la
spiritualité de Michelet et la manière de les vivre – Nicolas Risso, curé
d’Objat
-
Les chrétiens dans la
mondialisation
. La formation de
chrétiens conscients (clercs et laïcs) – Pascal Bousseyroux
. L’œcuménisme et la
liberté religieuse – Nicole Lemaitre
. Les conseillers
d’Edmond Michelet
. Table ronde entre
les intervenants et débat avec la salle
. Conclusion – Marguerite Léna, philosophe
Deux remarques liminaires :
-
Contrairement à ce qui s’était passé au colloque
des Bernardins de décembre 2010 sur "Edmond Michelet, le chrétien en politique", il n’y a pas eu de
distribution d’images pieuses à l’effigie d’Edmond Michelet.
-
Parmi les intervenants au colloque, uniquement
des familiers de longue date d’Edmond Michelet : pas d’historiens des
jeunes générations tels, au colloque de 2010, Guy Pervillé, Olivier Dard,
Olivier Herbinet, Hugues Tertrais, Guillaume Gros ou Audrey Virot.
Monseigneur Bressolette a eu un engagement de
dernière minute et n’a pu être présent. Sa communication écrite a été lue en partie par Yves-Marie Hilaire
Vincent Petit, absent, sa communication n’a pas été
présentée.
Introduction
par Jean Charbonnel
Jean Charbonnel, familier des introductions des
colloques consacrés à Edmond Michelet, a commencé son exposé en rappelant
« quel homme extraordinaire fut Edmond Michelet ». « Toujours
indulgent, il a été toujours très ferme sur les principes ». Il y avait
chez lui « une dialectique entre le spirituel et le temporel, entre le
mystique et le politique ». Et, comme l’écrit Péguy : « Il peut
arriver que le spirituel couche dans le lit du temporel[2] ».
Selon Jean Charbonnel, il y a quatre éléments
structurants dans la vie d’Edmond Michelet :
-
Le refus de l’Action française
-
Le refus du "régime de Vichy"
-
Le refus des institutions de la IVe
République
-
Le refus de "l’Algérie de Debré"
Sur le premier point, Rome avait parlé :
Edmond Michelet quitte l’Action française. Mais il restera un interlocuteur du
Comte de Paris et, au fond, il est resté fidèle à la monarchie.
Sur le deuxième point, Jean Charbonnel mentionne
« la fermeté héroïque » d’Edmond Michelet, n’insiste pas et renvoie à
son livre "Rue
de la Liberté".
Sur la période d’après-guerre, Jean Charbonnel
rappelle qu’Edmond Michelet fut à l’origine de la première loi d’amnistie en
1950. En 1959, « Il eut le projet généreux et intelligent de confier à une
équipe le soin de transférer la dépouille du maréchal Pétain à Verdun ».
En 1963, sur intervention de Georges Lamirand, beau-père de Jean Bastien-Thiry,
il s’est informé, avant son exécution, sur un possible séjour de celui-ci dans
une maison de santé[3].
Pour Jean Charbonnel, « l’intransigeance
des partisans de Vichy et de l’O.A.S. ont fait échouer les initiatives d’Edmond
Michelet ».
En 1945-46, Edmond Michelet entre très
rapidement en conflit avec le MRP :
-
refus de Michelet d’accepter des institutions
donnant le pouvoir absolu au législatif,
-
essais de recoller le RPF et le MRP.
Il aurait dit à Jean Charbonnel : « Ah,
s’ils (Bidault, de Menthon…) m’avaient écouté, il y aurait eu 350 députés (RPF,
UNR ?) ».
Sur l’Algérie, il y a eu superposition de deux
points de vue chez Edmond Michelet : celui du patriote français qui aurait
souhaité que l’Algérie demeurât française, aussi française que possible – à
condition que ce soit sans déchirement et pas à n’importe quel prix – et celui
du garde des Sceaux en charge de détenus F.L.N., puis de l’O.A.S. : les
généraux ont fait un séjour involontaire à Tulle[4].
Il s’alarme du caractère que prend le conflit. Il obtient que les condamnés à
mort du F.L.N. soient transférés d’Algérie en métropole et, pour ceux qui ne
sont pas graciés, qu’ils soient fusillés et non plus guillotinés. Il a très
rapidement des contacts avec les chefs de la rébellion, avec Ben Bella –décoré de
la Légion d’honneur[5] pendant
la Campagne d’Italie - via Rovan, Gosselin, Bourges. Cela lui vaut des lettres
d’insulte de Michel Debré.
Pour conclure, Jean Charbonnel rappelle qu’Edmond
Michelet est mort sur la route de Chartres[6]
et il insiste sur la permanence des principes chez lui. L’homme politique
chrétien se heurte aux réalités. Le dialogue temporel/spirituel est au cœur du
personnage.
Commentaire :
beaucoup d’approximations, de raccourcis, d’affirmations et interprétations
discutables dans cet exposé de Jean Charbonnel, par ailleurs agréable à écouter.
·Toujours
indulgent : au risque de se répéter, Edmond Michelet a été indulgent pour tous sauf
pour les défenseurs de l’Algérie française. Pourquoi ? Parce qu’ils
étaient les seuls qui risquaient de faire chuter le général de Gaulle dans les
années 60 et 61 et donc de mettre à bas celui dont Michelet disait : "Il était pour moi le monarque". Pour les gens de Vichy, de la Milice, de
la Gestapo, du FLN : amnistie, libération, retour d’exil. Pour les chefs
des partisans de l’Algérie française : la peine de mort. L’indulgence
s’arrête quand le monarque est en jeu.
·Très
ferme sur les principes : lesquels ?
. L’Action
française : une incise de Jacques Prévotat, lors de son intervention,
semble montrer que sa rupture avec l’Action française ne s’est pas faite dans
des conditions aussi nettes que celles rapportées par Jean Charbonnel.
.Le
conflit avec le MRP : Edmond Michelet est élu député MRP en novembre 1946.
Le conflit voit son origine dans l’adhésion de Michelet à l’intergroupe
parlementaire gaulliste de l’assemblée nationale en août 1947. Président de la
fédération corrézienne du MRP, Il est exclu de ce mouvement le 12 novembre
1947.
·Bastien-Thiry,
si l’on suit Jean Charbonnel, a été fusillé à cause de l’intransigeance de
l’O.A.S.. Nous sommes en mars 1963 ; l’OAS[7]
n’existe quasiment plus. Le chef de l’Etat n’y serait donc pour rien ? En
ce qui concerne la possible intervention d’Edmond Michelet en sa faveur, seule
la production d’archives irréfutables autoriserait à la confirmer. Beaucoup de
choses sont affirmées et répétées de livres en colloques et de colloques en conférences
– sans une base documentaire sérieuse – qui deviennent vérité d’Evangile. Ceci
est vrai sur bien des points concernant Edmond Michelet ; faut-il rappeler
que la méthode historique est une incessante remise en question et se fonde
principalement sur l’examen, le recoupage et l’interprétation des archives ?
Jacques
Prévotat : Edmond Michelet et les évêques et cardinaux
Invité par le président de séance, Jacques
Prévotat indique, en préambule, la publication récente d’un numéro spécial du
bulletin de la Société des amis d'Henri Irénée Marrou[8] consacré à ses carnets
posthumes.
Jacques Prévotat organise son exposé en quatre
parties :
-
aperçu général
-
les contacts personnels
-
les thèmes forts de discussion avec
l’épiscopat
-
quelle image de l’Eglise peut-on tirer de ces
contacts ?
Trois phases :
· 1920-1939
Cette période peut être qualifiée pour Michelet de "catholique et français
toujours". Il n’a jamais séparé son catholicisme et son patriotisme.
Jusqu’à la fin : voir dans son dernier livre, La querelle de la fidélité. Pour lui « Le patriotisme est une vertu chrétienne ».
· 1940-1958
Le fossé s’est creusé entre les chefs spirituels et les jeunes qui se
sont engagés contre le national-socialisme. Il y a incompréhension entre eux,
les évêques de 1940 n’ayant pas compris, selon Jacques Prévotat, l’aspect
idéologique de la défaite.
·1958-1970
L’âge des responsabilités. Edmond Michelet veut des relations étroites
entre l’Eglise et l’Etat. A partir de 1965, la convergence n’est pas acquise,
l’épiscopat étant réticent
Contacts personnels avec les évêques
De Gaulle confie à Edmond Michelet des
missions particulières. Exemple : que penser de Mgr Louis Simonneaux,
nommé évêque de Versailles ?
Quatre évêques ont eu des rapports étroits
avec Edmond Michelet :
· Mgr Chassaigne, évêque de Tulle de 1940 à
1962. C’était un maréchaliste indiscutable mais absolument pas collaborateur.
Décidé à lutter contre ce qui est inacceptable, comme monseigneur Saliège, il a
protesté contre le traitement et la déportation des juifs. Le 16 décembre 1948,
Etienne Borne écrit à Edmond Michelet pour lui rapporter une conversation avec
monseigneur Chassaigne. Celui-ci lui a fait part des soucis que lui cause
Edmond Michelet (NdR : Edmond Michelet est passé au RPF et s’oppose
fermement au MRP, mouvement bien vu de l’épiscopat).
· Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand de
1934 à 1952, lui aussi fervent maréchaliste, qui a été déporté à Dachau en
raison de ses actions en faveur des juifs (de nombreux ont été cachés dans des
institutions catholiques du diocèse). A Dachau, au Block 26, celui des prêtres,
Monseigneur Piguet , fait unique, ordonne le séminariste Karl Leisner. Il est
étonné de la manière non classique dont la communion est portée aux fidèles.
· Mgr Elchinger, coadjuteur puis évêque de
Strasbourg de 1958 à 1984. Edmond Michelet a des relations étroites avec lui.
En 1941, Léon-Arthur Elchinger avait été nommé supérieur du séminaire de
Strasbourg replié à Clermont-Ferrand. En 1960, Mgr Elchinger dit d’Edmond
Michelet, ministre de la justice : « Grâce à lui, ce ministère est un
peu humain. »
· Mgr Gouet, secrétaire de l’épiscopat puis
évêque auxiliaire de Paris. Un des correspondants d’Edmond Michelet dans
l’épiscopat pendant Ses fonctions ministérielles. Quand Edmond Michelet est
évincé du ministère de la Justice, Julien Gouet lui fait part de « la
peine qu’il éprouve après son départ de la Place Vendôme ». Il loue les
bonnes relations établies entre l’épiscopat et l’Etat. Quelques autres évêques
(Mgr Rastouil, Mgr Chassaigne…) lui écrivent dans le même sens.
En mars 1959, alors que se prépare la loi
Debré sur l’enseignement privé (contrats d’association), Monseigneur Cazaux,
évêque de Luçon (de 1941 à 1967), l’un des plus vigoureux défenseurs de l’école
libre catholique, remercie Edmond Michelet – alors ministre de la Justice – de
l’avoir reçu. Et le 14 décembre 1959, huit évêques (MMgr Roques, Perrin, Puech,
Cazaux, Blanchet, Villot, Cuminal, X.) sont réunis autour de Michel Debré sur
la question scolaire ; Ils lui transmettent une note en huit points sur
les spécificités de l’enseignement libre et sur leurs demandes associées.
Edmond Michelet a un regard de respect sur les
chefs spirituels. A la libération, il trouve extravagante la proposition de
Georges Bidault d’épurer 50 évêques (NdR : en réalité 30, finalement seuls
trois d’entre eux furent éloignés). Il rédige cependant un texte, Remontrances à un évêque, en tant que
catholique déboussolé par l’attitude de ses chefs spirituels.
Sur les prêtres-ouvriers, il se réfère aux
jeunes prêtres partis en Allemagne avec le S.T.O. et qui se sont trouvés par la
force des choses au d’ouvriers : ce sont « de jeunes apôtres ».
Sur l’Algérie – Edmond Michelet défend les
prêtres qui "pratiquent l’hospitalité[9]" (Souk-Ahras).
A propos de Monseigneur Duval, archevêque
d’Alger, surnommé Mohamed Duval par les européens, Edmond Michelet précise qu’il
serait, lui aussi, heureux d’être appelé Mohamed Duval[10]. En
compagnie de François Mauriac et de Georges Bidault, il participe à la veillée
de prières pour la paix organisée le 18 décembre 1960 à Notre Dame par le
centre Richelieu et y prononce une intention de prière : « Sous ces
voûtes de pierre qui virent s’élever, au printemps de notre patrie, les yeux du
roi Saint Louis… »
Dans les années 1966 et suivantes –
Inquiétudes sur l’évolution de l’Eglise de France. Lors de sa campagne
électorale pour le siège de Quimper aux
élections de 1967, les séminaristes empêchent Malraux par des huées de
prononcer une allocution de soutien à sa candidature.
L’Eglise de Michelet est tributaire de son
expérience personnelle :
-
Dachau et l’Eglise des Catacombes
-
L’Action Catholique de la Jeunesse Française
Pour Michelet, l’Eglise est faite pour être
vue et, éventuellement, mal vue. La vocation chrétienne de la France doit être
affirmée. Il prend à son compte l’exhortation de saint Pie X : « Va,
fille aînée de l’Eglise, va porter mon nom devant tous les peuples[11] ».
Les rapports de l’Eglise et de l’Etat doivent
être sereins. L’Eglise n’est pas un pouvoir mais une puissance et une autorité.
Dans une enquête publiée dans un numéro de Fêtes et Saisons de 1967, Michelet,
répondant au père Bro, distingue l’Eglise enseignante et l’Eglise enseignée.
Pour lui, sans les sacrements, il est tout à fait impossible de se déclarer
fidèle de l’Eglise. Il a découvert la beauté de la liturgie.
Il estime que les relations entre fidèles et
ecclésiastiques sont difficiles, qu’il y a une barrière entre laïcs et prêtres.
Il dresse un portrait du bon évêque : « Si j’étais évêque, je
chercherais le contact permanent avec mes prêtres et mes fidèles dans les
paroisses ».
Edmond Michelet estime qu’il faut encourager la
liberté individuelle des laïcs ; ceux-ci ont la possibilité d’adhérer à des partis politiques divers. Le
passage à Dachau lui a montré que les laïcs pouvaient jouer un nouveau rôle
dans l’Eglise.
Conclusion : Respect et écoute attentive
des chefs spirituels. Seule réserve : indépendance de sa position (il cite
souvent La Tour du Pin).
Il y a toujours une double appartenance chez
Michelet ; exemple : proche des dominicains et de l’Action française.
Lors d’un échange avec la salle après un exposé ultérieur, Jacques Prévotat a
signalé qu’Agnès Brot, petite-fille de Michelet, lui avait indiqué qu’Edmond
Michelet avait encore sa carte d’adhérent à l’Action française pour l’année
1928 (NdR : Jusqu’alors, il était admis que le dernier renouvellement de
son adhésion à l’Action française était de 1927[12]). Jacques
Prévotat ajoute : Il ne rompait pas tout de suite. Pas de rupture franche,
également, avec le MRP en 1947. Explication avancée sur ce comportement:
il a de l’intérêt pour les personnes et leur reste fidèle.
A une question sur le contenu de la réponse du
cardinal Lefebvre, archevêque de Bourges, au "coup de gueule" d’Edmond
Michelet en mars 1969 contre les évêques et en particulier contre Monseigneur
Ancel, accusés, après avoir été pétainistes, de tomber dans le marxisme, Jacques Prévotat donne quelques éléments de
réponse. Le cardinal, dans une lettre de 32 pages, justifie d’abord sa conduite
personnelle tant vis-à-vis du national-socialisme que du communisme. Sur le
fond de la réponse, pas d’éléments précis. A noter que dès 1963, lors de la
grande grève des mineurs, le soutien apporté par des évêques à ceux-ci avait
rendu de Gaulle furieux.
Commentaire
Exposé
très intéressant et riche, ce qui n’est pas inattendu de la part de Jacques
Prévotat. Celui-ci avait précisé, en début d’exposé, que le sujet est loin
d’être épuisé : il y a encore une grande quantité de documents à
dépouiller sur les relations d’Edmond Michelet et des évêques.
Une
question se pose, celle de la cohérence de la position d’Edmond Michelet
vis-à-vis de l’Eglise de France et de son épiscopat. Respect pour les chefs
spirituels mais critique parfois acerbe de ses membres. L’épisode de 1969
mériterait à lui seul une étude. Il se situe un an avant la mort d’Edmond
Michelet. Dans quel état d’esprit était-il vis-à-vis de l’épiscopat dans la
dernière année de sa vie ? Une réponse du type « Edmond Michelet
était un homme libre » serait incomplète.
Un point
intéressant a été soulevé, celui de la
double appartenance d’Edmond Michelet que l’on retrouve à plusieurs tournants
de sa vie : éloignement de l’Action française sans rupture totale, passage
du MRP au RPF via le RPI, passage de l’Algérie française à l’Algérie FLN,
passage de De Gaulle à Pompidou. Sur ce point, l’intervention d’Etienne Borne
dans la discussion lors du colloque "La prison, pour quoi
faire ?" tenu à Aubazine en 1979 apporte un élément supplémentaire
(il s’agit de la période 1959-1961 durant laquelle Edmond Michelet est ministre
de la Justice) : « Chez Edmond Michelet, il y avait une passion
politique. Il représentait quelque chose, une ouverture qui était politiquement
prématurée et qu’il fallait, pour des raisons de double jeu, masquer[13]… »
Nicole
Lemaitre et Pascal Bousseyroux : Les prêtres en contact avec Michelet
Exposé en trois parties chronologiques et
géographiques :
-
les prêtres de Corrèze
-
à Dachau
-
après 1945
Michelet a un fort ancrage personnel
corrézien. Il y a deux types de relation avec les prêtres corréziens : les
prêtres conseils et les prêtres diocésains.
· Parmi les prêtres "conseils" sont
cités l’abbé Prévot d’Action française, l’aumônier de l’ACJF[14], le
chanoine Bouyssonie et l’abbé Mamy, prêtre conseil du Cercle Duguet qui s’en
éloigne[15].
· Parmi les prêtres diocésains, l’abbé
Alvitre, issu du "Sillon", vicaire de Saint Sernin de Brive, et
l’abbé Charles Lair, tous deux résistants, l’abbé X. que Michelet retrouve à
Dachau et également des prêtres alsaciens et lorrains réfugiés, l’abbé
Elchinger et l’abbé Paul-Joseph Schmitt qui, après la guerre, seront évêques,
respectivement de Strasbourg et de Metz.
Plus tard, Edmond Michelet ministre des
Anciens Combattants fera rénover plusieurs églises corréziennes dont la
cathédrale de Tulle et il restera fortement impliqué dans la vie du diocèse.
Dachau est le camp de concentration des
prêtres, principalement allemands, autrichiens et polonais mais également des
diverses nationalités présentes dans le camp. Edmond Michelet veut être le
Saint Tarcisius[16]
des prêtres de Dachau. Laïc, il porte la communion aux déportés qui la
désirent.
Les
prêtres-ouvriers, d’après Emile Poulat, sont nés à Dachau. C’est à Dachau que
naît l’amitié entre le chanoine Daguzan, vicaire général du diocèse de Bayonne
et Edmond Michelet. Il y retrouve l’abbé Sigala[17], l’un
de ses compagnons de "Combat" en Dordogne.
Après la guerre, Michelet rend hommage à
plusieurs prêtres, l’abbé Hénocque, déporté à Dachau, l’abbé Franz Stock qui
l’avait soutenu spirituellement à la prison de Fresnes. L’amicale des anciens
de Dachau, fondée par Michelet, accueille les prêtres déportés.
Après 1945, cités en vrac, quelques-uns des
propos tenus par les auteurs de la présentation :
Michelet se fait un modèle du prêtre français
(NdR : lequel ?).
Il porte attention à la marche vers le
sacerdoce.
Il est soucieux de la situation matérielle des
prêtres afin qu’ils puissent se consacrer entièrement à leur ministère.
Il demande la grâce de condamnés à mort.
Il aide à la naturalisation de familles
étrangères inscrites à Notre Dame de la Providence[18].
Il exalte la figure de Charles de Foucauld et
est sensible à celle de Monseigneur Mercier[19].
Il a une attitude assez nuancée vis-à-vis des
prêtres-ouvriers.
Il fréquente Jean-Pierre Gault, séminariste à
Rome et plus tard pilier de l’association France-Algérie, l’abbé Delissalde,
prêtre "baroudeur" en Indochine.
Il refuse l’attitude bien-pensante.
Il a une conception tridentine du
prêtre : « Celui qui ne la respecterait pas rejoindrait la cohorte
des infidèles ».
A une question sur les relations d’Edmond
Michelet avec le chanoine Meyssignac, Pascal Bousseyroux répond que, dans les
archives Michelet, il y a quelques lettres de lui, dont l’une de félicitations.
Jean Charbonnel prend la parole. Le chanoine Meyssignac a été son curé à Saint
Martin de Brive. C’était un homme délicieux. Il ajoute qu’il a été très marqué
par l’aumônerie qu’il a exercée à la prison de Tulle ou étaient détenus les officiers
et les généraux, ce qui lui a valu un certain nombre de conséquences
désagréables. Certains à Brive l’ont beaucoup regretté.
Commentaire
Cet
exposé a été une avalanche, surtout de
la part de Pascal Bousseyroux. L’auditeur a été noyé sous les noms, les dates,
les événements. Il ne sait quelle conclusion tirer, quels éléments nouveaux ont
pu être apportés à la connaissance d’un aspect-clé de la vie d’Edmond Michelet.
Il faudra attendre une éventuelle publication de cet exposé pour l’examiner à
tête reposée et essayer d’en tirer quelque enseignement.
La
remarque de Jean Charbonnel sur les conséquences désagréables affectant le
chanoine Meyssignac après son acceptation de l’aumônerie de la prison de Tulle
vaut la peine d’être documentée. Edmond Michelet a-t-il joué un rôle dans un
sens ou dans un autre à cette occasion ? Si oui, lequel ?
Mgr Claude
Bressolette : Le concile Vatican II
et la France
En l’absence de Mgr Bressolette, Yves-Marie
Hilaire lit l’exposé que celui-ci avait préparé tout en faisant quelques
commentaires personnels. Selon Yves-Marie Hilaire, Michelet est très proche de
Vatican II[20],
en particulier sur deux aspects, celui de l’œcuménisme et celui de la liberté
religieuse.
Le rôle joué par Michelet à l’ICCL – issu de
l’ICL – et à sa "filiale" MIRC[21], fondée
par lui, témoigne de son engagement dans l’œcuménisme (Cf. infra l’exposé de
Nicole Lemaitre)
L’exposé est, en fait, un historique du
concile Vatican II sans développement sur le rôle qu’ont pu y jouer les participants français et sur ses
conséquences sur l’Eglise de France.
Yves-Marie Hilaire a conclu sa lecture en
notant « la grande amitié entre Edmond Michelet et Paul VI ».
Nicolas Risso : Les sources de la spiritualité de Michelet et la manière
de les vivre
En suivant le parcours
spirituel d’Edmond Michelet, Nicolas Risso distingue quatre sources dans sa
spiritualité :
-
l’enfance et la famille,
-
l’Action Catholique de le Jeunesse Française
(ACJF),
-
la spiritualité conjugale,
-
l’expérience concentrationnaire.
Sur l’enfance et la famille, Nicolas Risso
rappelle les influences croisées de son père, dans la ligne du Sillon, et de sa
mère, monarchiste et maurrassienne, tous deux fervents catholiques et qui seront à l’origine de ses convictions
humaines, morales, politiques et religieuses.
Son père aurait préparé Edmond Michelet à
recevoir Péguy, en insistant sur le devoir d’Etat : faire son devoir
d’Etat (Octave Michelet est épicier) du même cœur que les bâtisseurs de
cathédrales. Il lui aurait appris la Prudence – vertu cardinale – à comprendre
comme l’intelligence des situations, selon saint Bernard. Edmond subit le
caractère emporté de son père, dont il héritera[22].
Son discours au cercle Saint-Sernin de Brive,
le 10 mars 1921, se ressent de l’influence de sa mère, spécialement à propos de
la liturgie. « Il fait l’apprentissage de la prière qui va nouer sa
compréhension du monde et de l’Eglise. »
L’influence de l’ACJF se fait sentir dans
divers textes. Un idéal fort est de donner sa vie pour la re-conversion de la France.
Il faut des chrétiens dans le monde et pour le monde. Ceci incite Michelet à
créer des groupes d’action catholique attirant de nouveau vers la foi. Il veut
un cercle d’études dans chaque groupe. Il insiste également sur la piété, moyen
d’intensifier sa vie spirituelle.
L’expérience de l’ACJF se retrouve dans toute
sa vie : messe, prière qui fait grandir sa foi, avec une double
perspective : missionnaire et caritative. L’apostrophe de Sa Sainteté Pie
XI, « Pour être catholique, il faut d’abord être chrétien », résumerait
parfaitement la foi de Michelet.
Pour lui, la spiritualité est le lieu qui
unit, où l’on se rencontre. En ce sens, il est proche du père Maydieu,
dominicain, de Jacques Maritain (le spirituel ne conduit pas au spiritualisme)
et de Georges Hourdin.
L’amour d’Edmond Michelet pour son épouse
constitue un socle dans la vie d’Edmond Michelet. Après la première rencontre
avec celle qui sera sa femme (Marie Vialle), il s’agenouille devant une statue
de Jeanne d’Arc et pense à Marie vue la veille. Il demande à Dieu de le guider
(il en écrit le récit un an plus tard). C’est un événement fondateur. Sa vie
conjugale est irriguée par la prière. Les deux époux se sont fixé des règles de
vie commune ; ils ont une relation commune à la foi qui leur permet de
traverser les difficultés de l’existence. Monseigneur Rivière, petit-fils
d’Edmond Michelet, a témoigné de cette composante de la spiritualité d’Edmond
Michelet[23].
Plus tard, quand il est détenu à la prison de
Fresnes, dans les messages clandestins échangés avec son épouse, il lui demande
de pardonner à celui qui l’a dénoncé. Dans sa cellule, à Fresnes, il s’est
donné un emploi du temps où la prière tient la première place. Il a le soutien
de l’abbé Franz Stock.
La seule issue à la perspective qu’il a - mort ou déportation - est l’espérance
chrétienne.
A Dachau, il incite les détenus au respect et
à la dignité ; il introduit le vouvoiement. Au péril de sa vie, il porte
la communion aux fidèles qui le souhaitent. Il privilégie le contact avec les
autres détenus : La culture, la connaissance, le savoir-faire et le savoir-être
doivent être échangés.
(Sur Fresnes et Dachau, lire d’Edmond
Michelet "Rue de la Liberté", paru aux éditions du Seuil en 1955.)
A la suite de l’exposé sur les sources de la
spiritualité d’Edmond Michelet, Nicolas Risso résume en une phrase dont il a le
secret la personnalité d’Edmond Michelet : « Un homme ordinaire dont
l’ambition est d’être un homme qui habite son existence ».
Il revient sur la jeunesse de Michelet et sur
son départ de l’Action française. Il aurait subi l’influence de Maurice Blondel
qui l’aurait éloigné du "positivisme" de l’Action française.
A propos des pèlerinages dont il était adepte,
Edmond Michelet lie le mysticisme de ceux-ci au côté très réel de la marche à
pied.
La question des exercices de Saint Ignace est
venue au cours des échanges qui ont suivi l’exposé : Edmond Michelet les
a-t-il pratiqués ? Certains notent qu’il y a de nombreuses lettres
d’Edmond Michelet à tonalité ignacienne. Jacques Prévotat fait remarquer que
l’antinazisme n’était pas seulement dominicain, il était également jésuite et
invite à se référer à la thèse soutenue en 2005 par Jean Chaunu, Christianisme et totalitarismes en France dans l'entre-deux-guerres
(1930-1940), publiée
dans une maison d’édition marquée à
droite[24] (dixit Jacques
Prévotat).
Commentaire
Une remarque sur le titre de la communication :
faut-il comprendre "la manière de la vivre" (la spiritualité)
plutôt que "la manière de les vivre" (les sources, dont on ne
comprend pas bien ce que cela pourrait signifier) ?
Etant donné le rythme rapide de l’orateur, il manque
certainement à cette recension des éléments du discours de celui-ci. Les
sources de la spiritualité d’Edmond Michelet sont identifiées. Les composantes
de cette spiritualité sont mises en évidence. La manière de la vivre est
approchée jusqu’à 1945. On aurait aimé un développement sur la manière dont
Edmond Michelet a vécu cette spiritualité après novembre 1945 dans ses différents
postes ministériels, en particulier à la Justice, car alors cette manière de la
vivre a des conséquences sur des milliers, des centaines de milliers, voire des
millions de ses concitoyens.
Pascal Bousseyroux : La
formation de chrétiens conscients (clercs et laïcs)
En
commençant son exposé, Pascal Bousseyroux présente Edmond Michelet par deux
mots-clés : "militant" et "sentinelle".
Jeune,
il milite à la fois à l’Action française et à l’ACJF. L’ACJF lui apporte une
devise : "La piété, l’étude, l’action". Elle lui apporte la
spiritualité de l’amitié. Il s’ouvre à la diversité de la jeunesse au travers
de la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC), de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne
(JOC) et de la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC). C’est alors qu’il dit :
« Il faut perdre l’habitude de tout laisser au prêtre. L’ACJF, ce sont des
laïcs avec des laïcs ; l’aumônier est un conseiller, pas un directeur ».
Avec
Péguy, il a deux vocations : la chrétienté et la liberté. Il suit Maritain
dans son décrochage de l’Action française, laquelle, selon Pascal Bousseyroux,
a fait des ravages. Il reconnaît que le nationalisme peut avoir une connotation
positive mais le nationalisme intégral, l’antisémitisme et l’anti-germanisme ne
sont pas acceptables pour Edmond Michelet.
Aux
Equipes sociales de Robert Garric, il se crée des amitiés
exceptionnelles : le normalien Roger Dumaine, Antoine Martel, Etienne
Borne, Pierre Ducrot (qu’il retrouvera au Secours National) et Georges Lamirand[25]
(auteur de "Le rôle social de l’ingénieur").
Angoissé
devant la montée du national-socialisme, il fait venir à Brive des
conférenciers tels le père Maydieu, dominicain, et Georges Bidault.
En 1940,
il entre au Secours National (créé en 1914 et réactivé en 1939) dont le
commissaire général est Robert Garric et en est le délégué pour la ville de
Brive. Les objectifs du Secours National sont de ravitailler, de loger et de
trouver des emplois aux réfugiés. L’accueil des réfugiés d’Alsace-Lorraine le
conforte dans sa haine du national-socialisme.
A
Dachau, c’est le dépouillement mystique. Il y acquiert un sens de l’universel,
antidote au nationalisme. Il écrira "Rue de la Liberté" dont il
décida du titre après avoir pensé à "Victoire de l’homme" ou
"Au-delà de la mort".
Après la
guerre, il se veut "sentinelle des valeurs chrétiennes". Il souligne
l’importance de l’engagement politique qui, pour lui, est un moyen de porter le
souvenir des morts en déportation.
Cet
engagement se fait rapidement sous la bannière gaulliste. Il considère que le
lien entre catholicisme et gaullisme repose sur trois axes communs :
-
l’aide
au tiers-monde,
-
la
réduction des inégalités sociales,
-
l’apaisement
des relations entre l’Eglise et l’Etat.
Il voit
un lien consubstantiel entre gaullisme et catholicisme.
Dans les
années 1950, il est fidèle aux retraites parlementaires. Il donne des
conférences au séminaire de Versailles, au Rotary Club, en Allemagne, au Québec
et y traite de la bombe atomique, du chrétien en politique, du nationalisme…
C’est un
homme de réseaux. Il participe à la Semaine des Intellectuels Catholiques[26].
Il est proche de "Pax Romana" (Mouvement International des
Intellectuels Catholiques) et aussi de certains "cercles de mémoire",
tel celui honorant Robert Schuman. Il rend hommage à Marc Sangnier en qui il
voit le réconciliateur entre le christianisme et la démocratie.
Il remet
la légion d’honneur à des personnalités telles Georges Hourdin et Jean de
Fabrègues, à des prêtres. Il participe à la défense de l’enseignement libre. Il
pratique l’ouverture aux autres religions, tant en adhérant à France-Israël
qu’en participant à des cérémonies communes avec l’Islam en l’honneur des sept
saints dormants.
Ministre
de la culture en 1969-1970, il s’interroge ; "Comment être
chrétien ? " Quelle position prendre sur la représentation d’une
pièce de théâtre tirée de La religieuse
de Diderot ?
Pascal
Bousseyroux fait aussi une allusion peu claire à une polémique sur la position
d’Edmond Michelet, alors ministre de la Fonction publique, sur la proposition
de loi de 1967 relative à la contraception non naturelle.
Commentaire
Comme pour l’exposé précédent de Pascal Bousseyroux,
l’auditeur est soumis à une dégelée de faits de dates, de noms. Une lecture à
tête reposée de cette conférence permettrait d’y voir plus clair sur ce qu’il
en ressort. Militant : oui. Sentinelle des valeurs
chrétiennes : peut-être de certaines d’entre elles.
La vue de Michelet d’un lien consubstantiel entre
gaullisme et catholicisme est, évidemment, la plus discutable[27]. Cela signifierait-il
que gaullisme et catholicisme sont de même substance ? Si Edmond Michelet,
catholique et parfaitement au fait de la signification de ce qualificatif, a réellement
pensé et écrit cela, on ne peut que s’interroger sur sa conception du gaullisme
ou sur sa conception du catholicisme.
En ce qui concerne la position d’Edmond Michelet sur
la proposition de loi sur la contraception non naturelle[28] (qui a donné lieu à
la loi Neuwirth), elle nous est connue par Alain Peyrefitte dans son ouvrage
"C’était De Gaulle". Edmond Michelet considère la loi proposée comme
une régression : « La femme est une personne, elle va devenir une
chose. » Cependant, il reste au gouvernement et ne prend pas de position
publique contre cette loi[29].
Nicole Lemaitre :
L’œcuménisme et la liberté religieuse
En introduction, Nicole Lemaitre
indique que son exposé a été enrichi d’une contribution de Jean-Dominique
Durand. Elle présente Edmond Michelet comme un homme international. Quelques
exemples : avant la seconde guerre mondiale, il a des contacts avec des
juifs allemands et des protestants. A Combat, en Région 5, il y a plusieurs
nationalités. A Dachau, il côtoie le pasteur allemand Martin Niemöller.
Edmond Michelet est un acteur de
l’œcuménisme. Initialement au travers de l’ICCL (International Council for
Christian Leadership), dont les archives sont aujourd’hui à la Fondation Billy
Graham. Il est séduit par la lutte de l’ICCL, au nom de la foi chrétienne,
contre le maccarthysme dans lequel il voit un embryon d’empire totalitaire.
La conférence mondiale de l’ICCL
en 1954 s’appuie sur l’épitre de Saint Paul aux Corinthiens[30] :
« …si je n’ai pas la charité, je
suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit… ». C’est par
la charité que nous allons nous distinguer. Michelet se veut un frère
universel[31], assoiffé de pardon et de
charité et réconciliateur. Il a vécu l’œcuménisme à Dachau entre 1943 et
1945. Il s’interroge sur la responsabilité sociale du chrétien en politique.
Il est introduit à l’ICCL en 1954 grâce à un
ami de L’U.N.E.S.C.O., François Dausset, alors que lui-même fait partie de la
délégation française à l’ONU. Edmond Michelet considère le pasteur Abraham Verheide,
fondateur de l’ICCL comme son second père. Le mouvement, parti de Seatlle,
compte alors 7500 membres aux Etats-Unis. Sa présidente d’honneur est la reine
Wilhelmine des Pays-Bas. Il se manifeste par des réunions de
"décideurs" priant ensemble. L’ICCL (alors ICL[32]) s’installe
en 1941 à Washington. Il s’y tient des petits déjeuners de prière – y compris à
la Maison Blanche avec Eisenhower et Nixon – animés par Billy Graham.
Edmond Michelet participe en 1954 à la
conférence de Noordwijk aux Pays-Bas. Il y fait un exposé sur "La famille
des nations et les besoins du monde". Le groupe aurait été impliqué dans
la diffusion du concept de l’Europe des nations, concept voisin des vues de De
Gaulle sur l’Europe : « La seule patrie collective n’est pas de ce
monde mais de l’autre ». Lors des réunions internationales des invocations
sont faites, comme celle-ci à la conférence de Royaumont en 1955 :
« Les Français prieront pour une Allemagne comme Dieu la veut et les
Allemands prieront pour une France comme Dieu la veut ». . En 1962, Edmond
Michelet devient président mondial de l’ICCL. Lui, catholique, se trouve donc à
la présidence d’une organisation d’origine et très majoritairement protestante.
Edmond Michelet crée aussi le M.I.R.C.,
Mouvement International de Responsables Chrétiens, comme prolongement de
l’ICCL. Le terme "Responsables" est choisi à dessein (non pas
"Dirigeants"). Il est ouvert aux catholiques, aux protestants et aux
orthodoxes. Dans un souci de dialogue, Luther et Calvin sont reconnus comme
raisonnables dans leurs critiques de l’Eglise de leur temps. L’idée de base
est : la fraternité des militants est capable de changer le monde par des
moyens autres que des leviers politiques. Edmond Michelet en est le président
de 1962 à 1970. Il s’y investit complètement et tente de lancer, sans succès,
les petits déjeuners de prière au parlement français: De Gaulle n’est pas
d’accord.
Il fixe trois orientations majeures :
-
l’œcuménisme, en liaison avec Taizé,
-
la réconciliation européenne, liée à
l’œcuménisme (catholiques français et protestants allemands),
-
le développement (projets avec Taizé)
Edmond Michelet est resté très lié à Abraham
Verheide jusqu’à sa mort[33] mais s’était
écarté de l’ICCL qui suivait une dérive "C.I.A.".
En conclusion, Nicole Lemaître indique
qu’Edmond Michelet aurait aimé que son rôle international fût mis en valeur. Il
considérait que c’était l’un des plus importants qu’il ait joué.
Commentaire
Exposé
structuré et intéressant sur un aspect peu mis en valeur de l’activité d’Edmond
Michelet. Celui-ci pratique l’œcuménisme dans sa composante pratique de prières
en commun, de rapprochement sur des projets concrets. Il serait intéressant de
connaître la position d’Edmond Michelet sur la composante théologique de son œcuménisme,
composante-clé s’il en est.
Il reste également
à étudier un autre aspect de l’activité internationale d’Edmond Michelet, c’est
son rôle au sein du Centre Européen de Documentation et d’Information
(C.E.D.I.) qu’il a présidé de 1962 à 1964.
Sur la
liberté religieuse, pas de développement. Quel était le point de vue de
Michelet sur cette question toujours sensible au sein de l’Eglise
catholique ?
Hélène
Say : Les conseillers d’Edmond Michelet
Hélène Say précise qu’il s’agit des
conseillers d’Edmond Michelet dans le domaine public.
Trois parties dans son exposé, correspondant à
trois phases de sa vie :
-
dans les Equipes sociales et lors de sa
formation spirituelle
-
lors de sa captivité et de sa déportation
-
lorsqu’il est ministre et parlementaire
Des dominicains sont ses principaux
conseillers dans la première phase et une partie de la deuxième.
Dans la deuxième phase, il y a d’autres
conseillers, tel l’abbé Stock.
Dans la troisième phase, Edmond Michelet
devient une référence dans l’Eglise.
Le père Maydieu, dominicain, devient l’ami de
Michelet. Il est son contemporain et comme lui vient de l’Action française. Il
fait partie du comité de rédaction de Sept, puis de Temps présent après le sabordage de Sept en 1937 faisant suite aux remontrances du Vatican. Dès
l’armistice de juin 1940, le père Maydieu, comme Edmond Michelet, entre en
résistance. Après la guerre et la résistance, il jouit d’une forte image.
Maydieu ne conseille pas explicitement, il met en relation, il indique des
pistes. C’est un lanceur de passerelles. On pourrait peut-être en dire autant
de Michelet. Maydieu meurt en 1955. Deux autres dominicains des Editions du
Cerf du boulevard Latour-Maubourg sont en relation avec Michelet : les
pères Carré et D..?
De la captivité à Fresnes et du séjour à
Dachau, Hélène Say retient les figures de trois prêtres :
-
Franz Stock
-
Léon Fabing
-
Jacques Sommet.
On connaît la relation entre Edmond Michelet
et Franz Stock à Fresnes. Pour Hélène Say, les visites de Franz Stock à Edmond Michelet dans sa
cellule pourraient être appelées "visitations". La relation nouée
avec Franz Stock aurait conduit Edmond Michelet à anticiper la réconciliation
franco-allemande.
Le père Léon Fabing, prêtre du diocèse de
Metz, avait été arrêté par la Gestapo en 1942 et transféré à Dachau en novembre
de cette année. Il y fit connaissance du père Josef Kenterich, prêtre allemand
du block 26. Le père Josef Kenterich, était le fondateur du mouvement de Schönstatt. « Il n’était pas un patriote chauvin,
mais ne mettait pas non plus sa
nationalité dans sa poche et avait conscience des blessures et des épreuves de
sa nation sans aucune haine ou mépris pour les particularismes des autres
nations. Il était un des rares prêtres et intellectuels allemands qui n’était
pas atteint par les ténèbres du pangermanisme[34].» C’est
aussi pour Edmond Michelet une préparation à la réconciliation
franco-allemande.
Le père Jacques Sommet, jésuite, également
déporté à Dachau, est impliqué, auprès d’Edmond Michelet, dans les débuts de ce
qui est devenue plus tard "L’affaire Touvier". Paul Touvier a obtenu,
par l’intermédiaire du père Arminjon, un rendez-vous de Jacques Sommet en 1960.
Il lui demande d’intervenir auprès d’Edmond Michelet, ministre de la Justice,
pour demander à bénéficier d’une mesure d’amnistie (il a été condamné à mort
après la libération en tant que milicien et s’est caché depuis lors). Le père
Sommet, qui a eu une mauvaise impression de Paul Touvier, accepte cependant
d’attirer l’attention du ministre sur le cas de celui-ci. La réponse d’Edmond
Michelet – suivant l’avis plus que réticent de son conseiller technique, Marcel
Ellisalde – est négative[35], ceci
en dépit de pressions ou suggestions en provenance d’une partie de la
hiérarchie catholique[36].
A partir de 1960, ministre, il est largement
sollicité par de nombreux ecclésiastiques de plusieurs cercles :
-
les dominicains
-
les anciens de Dachau
-
la hiérarchie ecclésiastique
Pour Hélène Say, Edmond Michelet s’est
toujours entouré de conseillers libres. Elle conclut son exposé avec cette
formule : « Michelet est un héros et héraut ! »
Commentaire
Exposé
mettant en valeur des figures d’ecclésiastiques hors du commun et qui incite à
s’informer plus
complètement
sur leurs personnalités et leurs spiritualités.
Mais
pourquoi terminer par cette formule sur Michelet ? L’historien ne porte pas de jugement moral. Et
pourquoi parler de « Visitation » à propos des visites de l’abbé
Stock à Edmond Michelet ? L’abbé
Stock serait-il Marie et Michelet Elisabeth[37] ?
Quant à
Michelet et Touvier, on sent dans les propos d’Hélène Say le désir d’éloigner
ce personnage sulfureux d’Edmond Michelet. Or, après prescription en
1967 de ses deux condamnations à mort, Paul Touvier sera plusieurs fois en
relation avec Edmond Michelet lequel dans une lettre du 3 avril 1970,
commençant par « Cher ami », l’invitera à prendre rendez-vous avec
lui via sa secrétaire particulière. A la suite de quoi, le 19 mai 1970, Paul
Touvier rencontre assez longuement à son domicile de Brive Edmond Michelet qui
l’aiguille sur son directeur de cabinet Roger Dumaine. Paul Touvier et sa
famille auraient, de plus, assisté aux obsèques d’Edmond Michelet à Brive, le
13 octobre 1970.
|
Commentaire global
Cette journée d’étude a été instructive. Pour
ceux ne connaissant pas Edmond Michelet – vraisemblablement peu nombreux dans
l’assistance d’une quarantaine de personnes – elle a été l’occasion de prendre
connaissance de cet aspect primordial de sa vie : ses relations avec
l’Eglise tout au long de sa vie.
Pour les autres, elle a permis d’attirer
l’attention sur des personnalités riches et très variées de l’Eglise de France
d’avant et d’après la seconde guerre mondiale et, également, sur certains
ecclésiastiques allemands.
Les objectifs de cette journée d’étude ont-ils
étaient atteints ?
En reprenant les termes de sa présentation par
l’évêché de Tulle :
-
Ce colloque examinera les domaines dans lesquels le meneur
d’hommes, l’éducateur, le prisonnier, le ministre, le chrétien, a eu à
intervenir. On observera son rapport avec les hommes et les femmes de foi et
d’Eglise qui ont accompagné ses engagements et suscité son action et sa
réflexionOn
y a peu vu Edmond Michelet meneur d’hommes ou éducateur. L’a-t-il été ?En
revanche ses rapports avec les hommes de foi – peu les femmes à part son épouse
– ont été largement présentés.-
Cette journée sera l’occasion d’essayer de comprendre les justes
articulations qu’il peut y avoir entre liberté de conscience, foi et
responsabilité politiqueCet
objectif a été partiellement atteint, pour Edmond Michelet, en ce qui concerne
l’articulation entre liberté de conscience et foi. L’articulation entre les
deux premiers termes et le troisième n’a pas été traitée. Elle n’avait été
qu’effleurée au Colloque des Bernardins de décembre 2010. Le gaullisme
"intégral" revendiqué par Edmond
Michelet n’a pu que mettre une barrière entre, d’une part, liberté de
conscience et foi et, d’autre part, responsabilité politique. A moins de
considérer, comme l’a rapporté Pascal Bousseyroux, que gaullisme et
catholicisme sont "consubstantiels". Cela ne fait cependant pas
aujourd’hui partie des dogmes de l’Eglise catholique.-
l’attitude politique et chrétienne d’Edmond Michelet
peut,
aujourd’hui, nourrir le discernement politique de bien des chrétiens.Il
s’agit d’une affirmation gratuite. Plusieurs exemples montrent les faillites du
discernement politique d’Edmond Michelet :·En
1948, il propose la candidature du général Peron, président de la République d’Argentine,
au comité chargé d’attribuer le prix Nobel de la paix.·Lors
de son voyage en Chine en 1955, il est "impressionné par la volonté de démocratisation culturelle du nouveau
régime".·En
1956, il considère que le colonel Nasser est un "méprisable homme d’état qui dirige provisoirement au Caire les
institutions de son pays et les destinées de l’Egypte".·Au
cours du conflit algérien, il ne comprend pas la vraie nature du F.L.N. ;
le F.L.N. n’est pas Fehrat Abbas mais Houari Boumedienne – et certains l’ont
bien vu ; avec les conséquences dramatiques s’en suivant pour les
populations européennes et les harkis. Etc.
Ce que l’on peut regretter dans ce colloque,
c’est l’absence de présentations par des historiens de générations plus
récentes. Quelles que soient les grandes qualités des intervenants, ils n’ont
pas, à peu d’exceptions près, de regard neuf sur Edmond Michelet. Ils font tous
plus ou moins partie de la commission historique nommée par Monseigneur
Charrier et, très naturellement – on ne peut leur en vouloir – partagent des
vues communes, favorables à la cause de béatification d’Edmond Michelet. Un peu
familièrement, on peut dire que cela "tourne en rond".
Cela se traduit par un certain escamotage des "sujets qui
fâchent". On peut en citer quelques-uns qui ont fait surface quelques
secondes avant de disparaître ou qui n’ont pas du tout fait surface :
-
Sous l’expression "rupture en deux
temps", n’y a-t-il pas en réalité double jeu – conscient ou non
avoué ? Cela a été noté à propos de
l’Action française ; cela ne s’applique-t-il pas au passage du MRP au RPF
et, surtout, à la position d’Edmond Michelet sur le sort de l’Algérie ?
Etienne
Borne, non suspect d’animosité envers Edmond Michelet, l’a noté :
Chez Edmond Michelet, il y avait une passion
politique. Il représentait quelque chose, une ouverture qui était politiquement
prématurée et qu’il fallait, pour des raisons de double jeu, masquer.
-
Le "coup de gueule" d’Edmond
Michelet contre les évêques français en 1969 n’a été évoqué au cours de cette
journée que grâce à la question d’un auditeur. Or cet épisode était en plein
cœur de sujet de la journée d’étude et il n’est pas anecdotique dans la
relation avec les évêques.
-
Il a été fait allusion à une polémique à
propos de la question de la "pilule". Pourquoi ne pas avoir traité
cette question qui est un cas type de la responsabilité du chrétien en
politique ? Elle met en jeu le magistère de l’Eglise représenté par Sa
Sainteté Paul VI, un chrétien ministre de la République et le président de la
République.
-
Un autre cas auquel il n’a pas été fait
allusion est au cœur de la question car il s’agit de la vie et de la mort
d’hommes, c’est celui du rétablissement par ordonnance de la peine de mort pour
crimes politiques signé par Edmond Michelet en 1960 et de son application en
1961. Pourquoi ne pas traiter à fond ce sujet qui est un sujet fort ?
Espérons que, comme le mentionnait en a parte le
père Risso au début de cette journée, l’on puisse tenir des colloques non
hagiographiques sur Edmond Michelet. Non seulement non hagiographiques mais
aussi creusant à fond tous les sujets, y compris les plus sensibles.
Et rappelons-nous les propos de Monseigneur Pierre Raffin,
évêque de Metz, lors de la clôture en 2004 de l’enquête diocésaine concernant
la cause de béatification de Robert Schuman :
"Je vous invite tous à imiter sa patience[38] et,
quel que soit votre enthousiasme pour cette cause, à éviter les travers d’une
hagiographie facile. S’agissant d’un père de l’Europe et d’un homme politique,
le jugement de l’Eglise sera d’autant plus crédible qu’il s’appuiera sur des
dossiers irréfutables".
Et encore :
"A mon avis, l’étude de la cause par la Congrégation pour les Causes des
Saints prendra du temps. Tout en voyant l’intérêt d’une telle cause pour
l’Europe et la réhabilitation de la fonction politique, je souhaite que
l’Eglise procède avec la plus grande rigueur, sans rien précipiter, d’autant
plus que la fama sanctitatis du Serviteur de Dieu, en dehors de petits cercles
fervents, est très peu développée".
Mutatis mutandis, ces
paroles s’appliquent parfaitement à la cause d’Edmond Michelet. Et la clôture
de l’enquête – si elle est exhaustive – réservera des surprises à ceux qui ont "l’hagiographie
facile".
[1] On pourrait même dire : « élaboré et rédigé »
[2] La citation exacte est : « La spiritualité
couche dans le lit de camp du temporel ».
[3] Les experts nommés lors de l’instruction de son procès
ont déclaré Jean Bastien-Thiry parfaitement sain d’esprit
[4] à moins de vingt kilomètres d’Aubazine
[5] En réalité, Ahmed Ben Bella, sous-officier, a été
décoré de la médaille militaire et non de la Légion d’honneur
[7] dont Bastien-Thiry n’a pas fait partie
[8] Henri Irénée Marrou (1904-1977), normalien, historien
de la pensée chrétienne dans l’histoire
[9] Bel euphémisme pour désigner une complicité –
consciente ou objective – avec des hommes du F.L.N. dont l’un des principaux moyens
d’action est le terrorisme le plus sanglant.
[11]
"Un jour
viendra, et nous espérons qu'il n'est pas très éloigné, où la France, comme
Saül sur le chemin de Damas, sera enveloppée d'une lumière céleste et entendra
une voix qui lui répètera : "Ma fille, pourquoi me persécutes-tu ?"
Et sur la réponse : "Qui es-tu Seigneur ?", la voix répliquera :
"Je suis Jésus que tu persécutes. Il t'est dur de regimber contre
l'aiguillon, parce que dans ton obstination, tu te ruines toi-même." Et
elle, tremblante et étonnée, dira : "Seigneur, que voulez-vous que je
fasse ?" Et lui : "Lève-toi, lave tes souillures qui t'ont défigurée,
réveille dans ton sein tes sentiments assoupis et le pacte de notre alliance,
et va, fille aînée de l'Eglise, nation prédestinée, vase d'élection, va porter,
comme par le passé, mon nom devant tous les peuples et tous les rois de la
terre." (Saint Pie X, le 13 décembre 1908, lors de la lecture du décret de
béatification de Jeanne d'Arc)
[12] Condamnation de l’Action française par Pie XI en 1926,
sanctions canoniques contre les ligueurs le 8 mars 1927
[13] La Prison pour quoi faire ? P. Orvain, P. Aymard, R.Schmelck, J. Hertevent,
P.Martelot, p. 29, Edition S.O.S., 1980
[14] ACJF : Action Catholique de la Jeunesse Française
[16] Jeune acolyte romain de Dyonisus au IIIe siècle,
mort martyr en portant clandestinement la communion à des prisonniers chrétiens
[17] Daniel Garrigue, ancien député et maire de Bergerac,
présent lors de la conférence, rapporte que l’abbé Sigala, après la libération,
a fait exécuter à Bergerac une religieuse
collaboratrice.
[18] à Ussel
[19] Préfet apostolique puis évêque de Laghouat de 1941 à
1968
[20] Pendant toute la durée du concile Vatican II, Edmond
Michelet est membre du conseil constitutionnel, instance à laquelle il a été
nommé le 17 février 1962 par Jacques Chaban-Delmas
[21] ICCL :
International Council for Christian Leadership, fondé par le pasteur méthodiste
Abraham Verheide ; MIRC : Mouvement International des Responsables
Chrétiens
[22] La colère de l’homme n’accomplit pas ce que Dieu attend
du juste – Lettre de Saint Jacques (1, 19-27)
[24] Il s’agit des Editions François-Xavier de Guibert
[25] Centralien, disciple de Liautey, secrétaire d’Etat à
la jeunesse de septembre 1940 à mars 1943, beau-père de Jean Bastien-Thiry.
[26]
En mars 1957, une réunion est
consacrée au livre de Pierre-Henri Simon, Contre
la torture. Edmond Michelet préside une séance houleuse au cours de
laquelle Louis Terrenoire et Michel Massenet s’opposent à Pierre-Henri Simon,
Georges Hourdin et Henri-Irénée Marrou. Cela décidera Edmond
Michelet à écrire : "Contre la guerre civile"
[28] condamnée par tous les papes depuis Pie XI jusqu’à
Benoît XVI, en particulier dans l’Encyclique Humanae Vitae de Paul VI
[29] Un chapitre est consacré à cette question dans L’autre visage d’Edmond Michelet, publié
en 2012 chez Via Romana
[30] 1ère Épître de saint Paul aux Corinthiens (1Co 13,1)
[31] en référence à Charles de Foucauld
[32] L’ICL est l’entité juridique américaine initiale ;
l’ICCL est l’entité juridique internationale supervisant les groupes nationaux,
fondée en 1947 en parallèle à l’ICL et
en étroite symbiose avec celle-ci.
[33] intervenue en mai 1969
[34]
Lettre du 3 août 1954 du père Léon Fabing à
l’abbé Dresbach, citée dans le bulletin n°8 de novembre 2010 du Cercle
international Carl Leisner
[35]
« … les faits ayant entraîné la condamnation ne sont pas de ceux
dont la législation en vigueur permet l’amnistie.. »
[36] Sont couramment
cités les noms de Mgr Duquaire, Mgr Lalande, Mgr Ancel, Mgr Villot, Mgr
Rhodain, Mgr Gouet.
[37] Ou bien Hélène Say fait-elle allusion à « La
Visitation de l’étranger », expérience mystique vécue par Louis Massignon
le 3 mai 1908, première étape de sa conversion ? Edmond Michelet a, lui, une foi solide lors de
sa détention à Fresnes.
[38] La patience de l’Eglise
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