Critique parue dans "Sécurité Globale" n°22, Hiver 2012
Ce livre est une espèce d’OVNI
dans un monde définitivement correct où la doxa tient lieu de recherche et où
l’idée reçue tient lieu d’analyse. L’auteur ne prend pas le lecteur par
surprise. Il affiche la couleur et se présente pour ce qu’il est – le fils du
général Zeller organisateur du putsch des généraux de 1961 et pour cela
condamné à 15 ans de prison puis amnistié en 1968 ;
Ceci posé, l’auteur ne cherche
pas à revenir sur les faits ni réhabiliter ou condamner quiconque. Il
s’interroge sur la personnalité d’une figure historique, grand résistant,
déporté exemplaire, puis ministre et dont la foi chrétienne fut le fil
conducteur de la vie.
En effet, la question de fond qui
taraude Bernard Zeller, chrétien lui-même, est la responsabilité de Michelet
dans le rétablissement de la peine de mort pour crime politique en 1960
(ordonnance 60-529 du 4 juin 1960) – sanction suprême abolie depuis 1848 (p.170
et s.)
Il retrace alors l’exceptionnel
itinéraire de ce personnage qui va, à un moment donné, trouver
dans le général de Gaulle l’incarnation de la France. Michelet va donc suivre
la politique du général sans remettre en cause aucun de ses aspects y compris
ceux susceptibles de heurter son identité propre. Ainsi le ministre à peine
nommé qui dit devant les magistrats « qu’il sera toujours du côté de celui
qui porte les menottes ! » acceptera toutes les lois d’exception et
fera pression sur le parquet pour demander l’exécution des putschistes.
Au bout de ce chemin étonnant, le
chrétien social, le « saint laïc » de Dachau, semble abolir toute
pensée critique pour communier dans la pensée du grand homme.
C’est ce mystère qu’essaie de
percer Bernard Zeller : Quel est le processus psychologique qui fait
tomber les barrières psychologiques pour endosser au final une politique aux
antipodes de sa propre démarche humaniste ? Zeller ne répond pas, car
personne sans doute ne peut répondre. Ce qu’il conteste en revanche, c’est la « sanctification »
de Michelet par un courant puissant réunissant admirateurs et famille qui voit
dans le grand homme une exemplarité « surhumaine ». Un procès en
béatification va s’engager. Bernard Zeller souhaite que toutes les pièces
soient versées au dossier et que l’instruction soit à charge et à décharge.
Finalement, ce que demande ce livre c’est que les hommes soient jugés comme des
hommes et non pas, a priori, comme des saints – Michelet le premier quels que
soient ses immenses mérites. Le travail de Bernard Zeller est au bout du compte
politique et social. Il pose la question des icônes, déjà soulevée il y a
longtemps par Roland Barthes, dans notre société. Dans le grand règne des medias,
de l’image et de l’instantanéité, quelle place reste-t-il pour l’analyse et le
débat contradictoire ?
Au final, le lecteur se demandera
ce que vient faire cette chronique dans une revue de Sécurité globale. C’est
essentiellement celle de remettre en cause les idées reçues. Face au pouvoir,
face aux églises de toutes sortes, face aux idéologies, face aux torrents d’informations
inutiles déversés en flot continu, la seule défense de l’homme debout demeure sa
capacité à peser, arbitrer, juger et, le cas échéant, à dire non. C’est la
leçon de cet excellent petit livre.
Jean-François Daguzan
Bernard Zeller
L'autre visage d'Edmond Michelet
Préface de Michel Déon de L'Académie Française
EditionsVia Romana
2012
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Votre commentaire sera affiché après vérification de sa conformité aux règles du savoir-vivre