Le Haut Tribunal Militaire destiné à juger les généraux Challe et Zeller est institué par une décision du Président de la République du 27 avril 1961 prise en faisant appel à l’article 16 de la Constitution. Le décret déférant les généraux devant cette juridiction exceptionnelle est signé le 20 mai 1961 par le Président de la République (Charles de Gaulle), le Premier ministre (Michel Debré), le Garde des Sceaux (Edmond Michelet) et le ministre des Armées (Pierre Messmer).
Le rapport à M. le Président de la République du Garde des Sceaux, du ministre des Armées et du Premier Ministre indique « qu’il n’y a lieu de ne retenir les susnommés (les généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller, NdR) que sous la seule et unique acceptation de l’article 99 du code pénal ». C’est donc sous le seul chef d’accusation « d’avoir dirigé et organisé un mouvement insurrectionnel » relevant de l’article 99 du code pénal que les généraux (Salan et Jouhaud absents) sont déférés devant le Haut Tribunal Militaire En vertu de l’ordonnance du 4 juin 1960 qui porte la signature d’Edmond Michelet, ils risquent la peine de mort.
Antonin Besson, nommé par décret du Président de la République procureur général près le Haut Tribunal Militaire, refuse d’utiliser les droits exorbitants qui lui sont conférés par les textes pris par le gouvernement faisant appel à l’article 16. Il aurait, en effet, pu mettre en œuvre une procédure consistant à mettre sous mandat, après un simple interrogatoire les personnes arrêtées, leur comparution devant le Haut Tribunal Militaire devant avoir lieu à l’expiration d’un délai de huit jours. Il écrit dans son ouvrage "Le Mythe de la Justice" publié en 1973 : «Une telle procédure n’avait pas de précédent, même en temps de guerre où la citation directe ne peut être employée que si la peine de mort n’est pas applicable. »
Les demandes ministérielles au procureur général Besson avant le procès sont connues par la publication, dans l’ouvrage de Jean-Raymond Tournoux "Jamais dit", des notes rédigées par le procureur général Antonin Besson dans les jours suivant le procès des généraux Challe et Zeller (Antonin Besson rapporte qu’il mit ses notes en lieu sûr, son bureau étant fouillé par des policiers).
Le samedi 27 mai 1961, Le procureur général Antonin Besson est convoqué à une réunion à 17h30 au Ministère de l’Intérieur à laquelle participent MM Frey, ministre de l’Intérieur, Messmer, ministre des Armées et Michelet, Garde des Sceaux. : « Après une très agressive entrée de jeu par M. Michelet sur la question de la salle d’audience ….. M. Messmer me demande, d’un ton doucereux, quelles sont mes intentions en ce qui concerne la peine que je me propose de requérir contre Challe et Zeller. »
Pour le dimanche 28 mai 1961, il note :
« A 9h30, M. Michelet m’appelle au téléphone. Il me demande d’aller à la Chancellerie, le lundi matin à 9h30 pour y rencontrer ses collègues de l’Intérieur et des Armées. Je lui fais part des graves objections que je formule à l’encontre de cette réunion, fixée à quelques heures avant l’ouverture des débats… »
« Vers 12h30, nouveau coup de téléphone de M. Michelet qui m’annonce que la réunion aura lieu à la Chancellerie le soir même, à 19h30. »
« Je suis très inquiet de l’allure que va prendre cet entretien ; je suppose qu’il va se traduire par une aggravation de la pression faite sur moi, la veille, en ce qui concerne les peines à requérir. La réunion envisagée ne me paraît pas avoir d’autre but. Enfin, le ton " affectueux" de M. Michelet, qui m’appelle son "cher procureur général" me laisse la conviction qu’une partie décisive va se jouer ce soir. »…..
« J’arrive, à 19h30, à la Chancellerie où le rendez-vous m’a été donné. Les ministres sont là qui m’attendent et me donnent l’impression de constituer un véritable tribunal de l’Inquisition. La façon dont je serai interrogé me le confirmera car je vais être soumis à des entretiens qui procèdent du lavage de cerveaux. »…
Pierre Messmer réclame pour Challe et Zeller que soit requise la même peine, la peine de mort. « Le code pénal prévoit la mort, et l’on ne voit pas dès lors pourquoi je ne la requerrais pas »…
« M. Michelet relaie M. Messmer dans l’entreprise de désintégration de ma personnalité. »
Le 30 mai au matin, soit deux jours après la convocation d’Antonin Besson à la Chancellerie et le matin même du premier jour du procès, Edmond Michelet écrit une lettre au procureur général Besson.
Ses principaux extraits ont été publiés dans l’ouvrage de Jean-Raymond Tournoux cité plus haut. Le texte intégral figure dans un autre ouvrage de Jean-Raymond Tournoux "L’Histoire Secrète".
Dans cette longue lettre de cinq pages, Edmond Michelet écrit : « Les articles 90 et 91 combinés, l’article 99 du Code Pénal semblent avoir été exactement conçus pour des situations de cette sorte. » Il s’agit d’articles figurant dans l’ordonnance du 4 juin 1960 cosignée par Edmond Michelet.
Il ajoute : « Le code est formel : il prévoit la peine de mort. On n’aperçoit pas quelles circonstances atténuantes peuvent être découvertes. »
Et, plus loin : « A la lumière du dossier, le crime d’André Zeller a été plus largement prémédité. », et encore : «..si la peine de mort n’est pas réclamée cette fois, il est à escompter, pour tenir compte de la hiérarchie des responsabilités, que les sanctions à envisager ultérieurement devront descendre fort bas dans l’échelle des peines et gêner par conséquent d’une façon considérable l’ensemble de la répression ».
Enfin : « J’ajouterai en terminant que vous avez certainement conscience que si les crimes commis le 21 avril et jours suivants ne sont pas sévèrement châtiés, la porte est ouverte à l’exemple ».
A propos de cette lettre Antonin Besson fait les commentaires suivants :
« Si la lettre était tendre pour Challe, par contre, elle était rigoureuse pour Zeller contre lequel il était relevé que par ses contacts, ses relations et ses projets, ce général s’était introduit dans les milieux activistes et que ses desseins dérivaient largement sur la politique. Sans doute était-ce vrai! Mais les seuls éléments résultant du dossier et dont je pouvais tenir compte s’appuyaient sur les articles incendiaires qui dataient d’avril 1957[1], ce qui ne l’avait pas empêché de devenir au lendemain du 13 mai 1958 le chef d’état-major des Forces terrestres. Rapprochée de ce qui m’avait été dit le samedi 27 mai, sur le compte de Zeller , cette lettre m’apportait la conviction que seul Zeller serait exécuté dans le cas où les deux accusés seraient condamnés à mort et, a fortiori, si ce dernier devait être le seul à être condamné à la peine de mort. »
Pour être complet, Antonin Besson, dans son ouvrage "Le Mythe de la Justice", qualifie Edmond Michelet "d’homme de grand cœur aux qualités humaines proverbiales" Il ajoute qu’Edmond Michelet l’aurait encouragé à résister aux pressions dont il avait été l’objet lorsqu’il l’avait raccompagné à l’issue de l’entretien à la Chancellerie.
Olivier Dard, dans une communication au colloque des Bernardins de décembre 2010, "Edmond Michelet, un chrétien en politique", pointe la contradiction entre les notes écrites par Antonin Besson quelques jours après le procès et les lignes ci-dessus écrites douze années plus tard. Le procureur général a-t-il oublié de rapporter dans ses notes cet épisode qui n’est pas un détail ? A-t-il voulu atténuer dans son livre la portée de ces notes concernant Edmond Michelet, celui-ci étant décédé (ce qui n’est pas le cas de Pierre Messmer et de Roger Frey au moment de la publication de son ouvrage) ?
Olivier Dard écrit : « On imagine d’ailleurs mal le ministre le raccompagner après le lavage de cerveau qu’il lui aurait fait subir ».
La réaction d’Edmond Michelet au verdict du Haut Tribunal – développée ci-après – est, elle aussi, en pleine contradiction avec un encouragement au procureur Besson à résister aux pressions, sauf à imaginer un Edmond Michelet tenant un discours totalement différent selon ses interlocuteurs.
Le procureur général Besson, finalement, dans son réquisitoire, demande une peine de détention criminelle à perpétuité pour les généraux Challe et Zeller. Le tribunal reconnaît les circonstances atténuantes et les condamne, au titre de l’article 99 du Code pénal à une peine de quinze ans de détention criminelle.
La réaction d’Edmond Michelet à ce verdict est connue grâce à une communication faite par Jean-Michel Valade, professeur chargé du Service éducatif du Centre Edmond Michelet, lors d’une Journée d’études sur la guerre d’Algérie, tenue le 18 janvier 2006, au lycée Cabanis de Brive. Cette communication est intitulée "Du putsch des généraux, à Alger, en avril 1961, à la prison de Tulle", avec pour sous-titre :"Essai d’utilisation de quelques sources du Centre Michelet".
A propos du verdict du procès des généraux Challe et Zeller, l’auteur écrit : Edmond Michelet, dont les relations avec le Premier ministre se sont dégradées, rédige une nouvelle lettre de démission. Justifiant sa détermination à quitter le gouvernement Debré, le Garde des Sceaux évoque « le détestable réquisitoire du Procureur Général et le scandaleux verdict du Haut Tribunal Militaire » qui sont analysés comme « des conséquences, entre bien d’autres, de l’affaiblissement du civisme chez ceux qui devraient se considérer comme les premiers serviteurs de l’état.»
L’ensemble de ces documents permet de conclure définitivement :
- qu’Edmond Michelet a exercé une forte pression afin que le procureur Besson requière la peine de mort contre les généraux Challe et Zeller
- qu’il a été furieux que celui-ci ne requière pas la peine de mort
- qu’il a estimé scandaleusement clément le verdict rendu par le Haut Tribunal militaire.
Ceci ruine l’interprétation de Nicolas Risso – curé d’Objat dans le diocèse de Tulle – qui, dans une brève recension des actes du colloque des Bernardins de décembre 2010 publiée sur le site officiel de la cause de béatification d’Edmond Michelet, écrit que celui-ci aurait laissé verbalement le procureur Besson libre de requérir une peine selon sa conscience. On comprend la tentative de Nicolas Risso d’adoucir la position d’Edmond Michelet : ces pressions exercées sur Antonin Besson et cette réaction après le verdict cadrent mal avec l’idée que l’on se fait d’un candidat à la béatification.
[1] Il s’agit d’articles publiés dans l’hebdomadaire Carrefour, qui accueillait également les écrits d’Edmond Michelet, articles au demeurant beaucoup plus mesurés que ceux publiés à la même époque par Michel Debré dans Le Courrier de la Colère.
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