samedi 20 juillet 2013

Critique de "L'autre visage d'Edmond Michelet" par Jean-François Daguzan

Critique parue dans "Sécurité Globale" n°22, Hiver 2012

Ce livre est une espèce d’OVNI dans un monde définitivement correct où la doxa tient lieu de recherche et où l’idée reçue tient lieu d’analyse. L’auteur ne prend pas le lecteur par surprise. Il affiche la couleur et se présente pour ce qu’il est – le fils du général Zeller organisateur du putsch des généraux de 1961 et pour cela condamné à 15 ans de prison puis amnistié en 1968 ;
Ceci posé, l’auteur ne cherche pas à revenir sur les faits ni réhabiliter ou condamner quiconque. Il s’interroge sur la personnalité d’une figure historique, grand résistant, déporté exemplaire, puis ministre et dont la foi chrétienne fut le fil conducteur de la vie.
En effet, la question de fond qui taraude Bernard Zeller, chrétien lui-même, est la responsabilité de Michelet dans le rétablissement de la peine de mort pour crime politique en 1960 (ordonnance 60-529 du 4 juin 1960) – sanction suprême abolie depuis 1848 (p.170 et s.)
Il retrace alors l’exceptionnel itinéraire de ce personnage qui va, à un moment donné, trouver dans le général de Gaulle l’incarnation de la France. Michelet va donc suivre la politique du général sans remettre en cause aucun de ses aspects y compris ceux susceptibles de heurter son identité propre. Ainsi le ministre à peine nommé qui dit devant les magistrats « qu’il sera toujours du côté de celui qui porte les menottes ! » acceptera toutes les lois d’exception et fera pression sur le parquet pour demander l’exécution des putschistes.
Au bout de ce chemin étonnant, le chrétien social, le « saint laïc » de Dachau, semble abolir toute pensée critique pour communier dans la pensée du grand homme.
C’est ce mystère qu’essaie de percer Bernard Zeller : Quel est le processus psychologique qui fait tomber les barrières psychologiques pour endosser au final une politique aux antipodes de sa propre démarche humaniste ? Zeller ne répond pas, car personne sans doute ne peut répondre. Ce qu’il conteste en revanche, c’est la « sanctification » de Michelet par un courant puissant réunissant admirateurs et famille qui voit dans le grand homme une exemplarité « surhumaine ». Un procès en béatification va s’engager. Bernard Zeller souhaite que toutes les pièces soient versées au dossier et que l’instruction soit à charge et à décharge. Finalement, ce que demande ce livre c’est que les hommes soient jugés comme des hommes et non pas, a priori, comme des saints – Michelet le premier quels que soient ses immenses mérites. Le travail de Bernard Zeller est au bout du compte politique et social. Il pose la question des icônes, déjà soulevée il y a longtemps par Roland Barthes, dans notre société. Dans le grand règne des medias, de l’image et de l’instantanéité, quelle place reste-t-il pour l’analyse et le débat contradictoire ?
Au final, le lecteur se demandera ce que vient faire cette chronique dans une revue de Sécurité globale. C’est essentiellement celle de remettre en cause les idées reçues. Face au pouvoir, face aux églises de toutes sortes, face aux idéologies, face aux torrents d’informations inutiles déversés en flot continu, la seule défense de l’homme debout demeure sa capacité à peser, arbitrer, juger et, le cas échéant, à dire non. C’est la leçon de cet excellent petit livre.

Jean-François Daguzan

Bernard Zeller
L'autre visage d'Edmond Michelet
Préface de Michel Déon de L'Académie Française
EditionsVia Romana
2012

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