jeudi 22 avril 2021

JEAN PEYNICHOU   

Un drôle de paroissien pour porter la cause de béatification d'Edmond Michelet

  Né en 1936

-          Carrière essentiellement à la Banque de Paris et des Pays-Bas devenue Paribas en 1982

-          Fondé de pouvoir en 1973

-          En 1980, il est sous-directeur des relations avec la clientèle. Le sous-directeur des affaires administratives et de l’inspection est Daniel Rouchy. Tous deux dépendent du directeur du service de la gestion privée, Jean Richard. Léonce Boissonnat est fondé de pouvoir du service. Pierre Moussa est le PDG de la banque.

-          À la fin des années 1970 et au début des années 1980, plus particulièrement dans la perspective de l’arrivée de la gauche au pouvoir, il conseille aux clients fortunés de la banque de placer leurs valeurs en Suisse où la banque a une filiale et, pour ce faire, les assiste.

-          Au cours de l’année 1980, il se rend, avec Daniel Rouchy et deux comparses, au château de Bellevue appartenant à Pierre-Jean Latécoère (le fils du constructeur aéronautique) dans les environs de Toulouse. Celui-ci, sur suggestion de la banque, a décidé de faire passer clandestinement au Canada 35.000 pièces d’or d’une valeur de 29 MF de l’époque (environ 12 M€ de 2018). Pour ce faire, Jean Peynichou et ses acolytes, récupèrent sous le plancher de la salle de bal du château trente-quatre (34) sacs de six kilogrammes qu’ils transportent furtivement à la succursale de Toulouse de la banque, ceci à l’insu du directeur local. Les pièces suivent ensuite les filières de la banque et se retrouvent d’abord à Paris, par avion, puis, via Luxembourg et Francfort, dans les coffres d’une banque d’Edmonton au Canada. Pour l’opération, la banque prélève une commission de 10% soit 3 MF.

-          Le 10 novembre 1981 Jean Peynichou est inculpé d’infraction à la législation sur les douanes et les changes, en même temps que Pierre Moussa, Jean Richard et Daniel Rouchy, et pour les mêmes chefs d’accusation.

-          Dans la nuit du 19 décembre 1981, Léonce Boissonnat, ancien de la 2e DB, se donne la mort. Dans son bureau avaient été découverts des carnets faisant état de tous les comptes ouverts en Suisse pour de nombreux clients français de la banque.

-          Le 5 décembre 1983, Jean Peynichou comparaît avec le PDG Pierre Moussa et ses collègues de la gestion privée - sans compter des dizaines de clients de la banque - devant la 11e chambre correctionnelle en tant que « complice, par instructions données et fournitures de moyens, de contrebande de marchandises prohibées, exportation d’or sans autorisation et non-rapatriement de revenus touchés à l’étranger » (Affaire Latécoère). Il est jugé également pour participation à des infractions à la réglementation des changes (160 MF transférés pour des clients de la banque à sa filiale suisse)

-          Le 25 janvier 1984, les représentants du ministère public concentrent leur réquisitoire sur le service de gestion privée, sur Jean Richard (en fuite), Jean Peynichou et Daniel Rouchy. Ils réprouvent leur attitude tendant à rejeter sur le mort, Léonce Boissonnat, la responsabilité de ce qui s’est passé.

-          Le 24 avril 1984, Jean Peynichou est condamné à la plus lourde peine des accusés présents, quinze mois de prison avec sursis ; Daniel Rouchy, un an avec sursis. Pierre Moussa est acquitté. Parmi les absents, en fuite, Jean Richard écope de trois ans de prison, Pierre Latécoère de dix-huit mois de prison.

-          Par la suite, jusqu’en 2011, Jean Peynichou occupe plusieurs postes de direction dans le secteur bancaire, à Paribas et dans d’autres banques : administrateur et directeur général adjoint de Paribas Luxembourg, Geschäfstführer (directeur général) de Paribas Vermögensberatung (conseil patrimonial) GmbH à Francfort, administrateur de KBL Richelieu Banque privée jusqu’en 2011

-          Jean Peynichou est actuellement membre de trois associations promouvant les causes de béatification de personnalités : l’association des amis de Franz Stock dont il a été le président, l’association pour la béatification de l’impératrice Zita, l’Institut Culturel Catholique corrézien qui soutient la cause de la béatification d’Edmond Michelet et dont il est le président.

lundi 13 mars 2017

Cinquantième anniversaire de la loi Neuwirth.

Cinquantième anniversaire de la loi Neuwirth.Monseigneur Jacques Perrier n’a rien vu.


Jacques Perrier vient de publier un livre - on apprend en quatrième de couverture qu’il est évêque - intitulé : « Trois hommes de paix » et sous-titré : « Robert Schuman, Edmond Michelet, Franz Stock ».
Tous trois font l’objet à Rome d’une procédure de béatification.
L’année 2017 marque le cinquantième anniversaire de la promulgation de la loi relative à la régulation des naissances, c’est-à-dire la mise sur le marché de pilules anticonceptionnelles. A cette occasion, la Poste a même émis un timbre à l’effigie du promoteur de cette loi, le, député Lucien Neuwirth.


 Quel rapport entre cette publication et cette commémoration ?
Edmond Michelet.
Le 7 juin 1967, Edmond Michelet est ministre de la Fonction publique. La proposition de loi relative à la régulation des naissances fait l’objet d’un tour de table au conseil des ministres présidé par Charles de Gaulle.
Quand vient le tour d’Edmond Michelet, celui-ci considère que « …de toute façon, c’est une loi de régression (…) La femme est une personne, elle va devenir une chose. »
Le tour de table terminé, De Gaulle conclut : « Enfin, puisqu’il le faut, adoptons ce projet. »
Mais Louis Reverdy, le président de la confédération des associations familiales catholiques, en conformité avec la doctrine de l’Eglise, écrit à Michelet pour lui faire part de ses extrêmes réserves sur cette proposition de loi. Le ministre répond le 15 juin 1967: « Personnellement je partage les sentiments sur les problèmes que vous soulevez. Vous n’ignorez cependant pas qu’une très large majorité de catholiques a fait une confiance totale à l’homme politique qui a lancé l’idée de la proposition de loi en question. ». Edmond Michelet ne proteste pas, n’agit pas, ne démissionne pas. La loi est votée le 19 décembre 1967. Ministre il est, ministre il restera.
Le 25 juillet 1968, dans son encyclique Humanae Vitae, S.S. Paul VI réaffirme la doctrine de l’Eglise sur la régulation des naissances et confirme le caractère illicite des moyens anticonceptionnels non naturels qu’il avait déjà rappelé lors du concile Vatican II.
Qu’écrit Jacques Perrier dans son ouvrage sur cette question ?
Deux lignes en tout et pour tout, et sans faire allusion à la loi Neuwirth : « En décembre 1968, après la querelle déclenchée par l’encyclique Humanae Vitae, Michelet signe une lettre de soutien au pape Paul VI. »
L’ancien évêque de Tarbes et Lourdes ne pose pas la question de savoir si, dans ces circonstances, Edmond Michelet a vécu héroïquement la vertu cardinale de Force. Pour lui, quoi qu’il en soit, Edmond Michelet est un héros. Est-il un saint ? Le point d’interrogation le gêne.

Ces deux lignes sont bien à l’image de l’ouvrage de Jacques Perrier : superficiel, historiquement approximatif, passant sur ce qui dérange et non exempt de silences et d’erreurs factuelles.



Un exemple : le passage d’Edmond Michelet à l’Action Française dans les années 1920 gêne manifestement Jacques Perrier. Il écrit : « Michelet lut les textes (de condamnation par Pie XI) avec attention et obtempéra. » On sait qu’en réalité il attendit la deuxième condamnation, de mars 1927, pour ne pas renouveler son adhésion au mouvement de Charles Maurras.
Autre extrait : « L’appartenance d’Edmond Michelet à l’Action Française jusqu’à sa condamnation est plus affective que militante. » Or le jeune Edmond Michelet, le 29 mai 1921 - il a 21 ans et ne doit pas rouler sur l’or – s’inscrit pour un montant de 4 francs à la souscription lancée par le journal (le numéro est alors à 20 centimes). 



Le 21 octobre 1924, à la rubrique « Carnet du jour » de L’Action française, on peut lire : « Nous apprenons avec plaisir la naissance de Christiane Michelet, deuxième enfant de notre ami Edmond Michelet, ligueur de la section de Pau. »



Michelet, pas militant d’Action française ?

Autre exemple : l’injonction d’Edmond Michelet au procureur général Besson lors du procès Challe-Zeller : « Le code est formel, il prévoit la peine de mort. On n’aperçoit pas quelles circonstances atténuantes peuvent être découvertes. »
Pour exonérer Edmond Michelet d’avoir exigé la peine de mort, Jacques Perrier invente un nouveau concept : « Ne pas pouvoir faire autrement ». Si vous ne pouvez pas faire autrement, vous n’êtes pas responsable de ce que vous avez fait. C’est très fort. Cela va très loin dans le domaine de l’irresponsabilité et c’est contraire à toute conception chrétienne de l’homme ainsi qu’à l’évolution du droit, en particulier depuis 1945.
Voilà exactement ce qu’il écrit : « Le ministre ne pouvait pas écrire autre chose, vu les sentences qui étaient, par ailleurs, prononcées contre les rebelles algériens. »
Deux remarques.
Comparer les chefs de la révolte d’Alger contre l’abandon de l’Algérie dans les mains du FLN, n’ayant pas de sang sur les mains, aux terroristes du FLN condamnés à mort pour des crimes sanglants est tout simplement inique.

Hervé Bourges, du cabinet d’Edmond Michelet au ministère de la Justice jusqu’en septembre 1961, écrit dans un article du numéro 2008 de Télérama de juillet 1988 intitulé Le Fauteur de paix : « Edmond Michelet m’avait chargé d’étudier les dossiers des condamnés à mort (NdR des condamnés FLN) à propos desquels il devait émettre un avis, avant qu’ils soient communiqués au Conseil supérieur de la magistrature, puis soumis à la décision du chef de l’Etat : opposé à la peine de mort, je ne l’ai vu en aucun cas transmettre un avis qui ne fût en faveur de la grâce. » Finalement, Michelet exige la peine de mort pour Challe et Zeller mais il est contre la peine de mort. 
Comprenne qui pourra. Seule explication : il a remplacé le « Politique d’abord » de sa jeunesse par le « De Gaulle d’abord ».

mardi 31 mai 2016

Edmond Michelet vu par Vincent Auriol

Tout au long de son septennat, de 1947 à 1954, Vincent Auriol a tenu un journal, indispensable pour la compréhension de l’histoire de la Quatrième République. Sous le titre « Journal du Septennat », il a été publié à partir de 1970 sous la direction de Pierre Nora. Le tome correspondant à l’année 1950 n’a été publié qu’en 2003 chez Tallandier qui y a adjoint un CD-Rom contenant l’intégrale du journal. Le délai dans la publication de ce tome est dû à François Mitterrand qui y estimait son rôle sous-estimé.
Sur l’ensemble de la période, on en apprend énormément sur la guerre d’Indochine. En particulier, le récit d’un entretien, le 19 août 1952, avec le général Salan, alors commandant-en chef, est très éclairant. De même les entretiens avec Bao Dai des 4 septembre 1952 à Muret et 10 octobre 1952 à l’Elysée. Vincent Auriol, contrairement aux idées répandues sur les présidents de la  Quatrième République, "n’inaugure pas les chrysanthèmes". Il a un rôle politique d’importance, bien que peu apparent à l’époque.
Edmond Michelet est cité dans le journal :
-           le 13 novembre 1947, à propos de son exclusion du MRP,
-        le 8 décembre 1947, à propos de l’entrevue – sans résultat – entre Georges Bidault et Charles de Gaulle, organisée par Edmond Michelet
-          le 28 avril 1950, à propos d’un voyage de Michelet à Munich, à la tête d’une délégation d’anciens déportés de Dachau,
-      le 24 juin 1950, lors d’un entretien de Vincent Auriol avec François Mitterrand alors que le gouvernement Bidault vient d’être renversé,
-      le 25 juin 1950, lors d’un entretien de Vincent Auriol avec Edmond Michelet et Louis Terrenoire dans le contexte de la crise ministérielle à résoudre,
-           le 4 juillet 1950, lors de la chute du gouvernement Queuille,
-       le 13 juin 1951, lors d’un entretien avec Henri Queuille qui prédit l’échec de Michelet en Corrèze aux élections du 17 juin 1951 (ce qui sera le cas).
Les deux citations les plus intéressantes, traduisant l’appréciation que porte Vincent Auriol sur Edmond Michelet, sont celles du 25 juin 1950 et du 4 juillet 1950.

25 juin 1950
Vincent Auriol reçoit Edmond Michelet, député de la Corrèze, et Louis Terrenoire, député de l’Orne, qui appartiennent tous deux au Rassemblement du Peuple Français (RPF) gaulliste. Edmond Michelet en est même membre du conseil de direction.
Le contexte est le suivant : Le gouvernement Bidault, en place depuis le 28 octobre 1949, a été renversé le 24 juin sur une question de reclassement des fonctionnaires. Michelet et Terrenoire font partie de ceux qui ont refusé la confiance au cabinet Bidault. Pour désigner le prochain président du Conseil, les 24 et 25 juin, Vincent Auriol "consulte" très largement. Il reçoit Edouard Herriot, président de la Chambre des députés, Gaston Monerville, président du Sénat, Jacques Duclos et André Marty (PCF), Maurice Schumann (MRP), Charles Lussy (SFIO), François Mitterrand et Edouard Bonnefous (UDSR), François Delcos et Henri Borgeaud (radicaux), Edouard Daladier, François de Menthon (MRP), Joseph Laniel (PRL), Robert Schuman (MRP), Emmanuel Temple (indépendant), René Capitant (RPF), Léopold Senghor et Emmanuel d’Astier de la Vigerie (crypto communiste).
Enfin, il reçoit Edmond Michelet et Louis Terrenoire.

Voici le compte rendu intégral de l’entretien, tel que rapporté par Vincent Auriol :
« Ils me disent tout d’abord qu’il faut soutenir un gouvernement pour aller devant les électeurs afin de retrouver la majorité et la stabilité, et en second lieu, nous ne voulons pas, disent-ils, être considérés comme des pestiférés. Je lui dis que je demanderai au prochain président du Conseil de convoquer Michelet, et finalement il avoue que ce n’est pas lui mais le RPF qu’il ne faut pas considérer comme pestiféré. Je lui dis alors que ce sont là des divagations, car il n’y avait qu’à me le dire plus tôt, je ne l’aurais pas convoqué. J’ai en effet vu Capitant qui m’a déclaré tout net, lui, qu’il ne voulait en aucune façon faire partie d’une majorité quelconque sous ce régime et qu’il faut par conséquent le modifier.
Ce n’est pas le gouvernement qui vous considère comme pestiféré, mais vous autres qui considérez tout gouvernement actuel comme pestiféré. Ils font auprès du RPF le même office que d’Astier fait auprès du parti communiste.
Je leur ai demandé s’ils voulaient que le gouvernement aille devant les électeurs avec le scrutin actuel ; ils m’ont dit qu’il fallait une réforme électorale ; je leur ai expliqué qu’elle ne pouvait pas être faite maintenant et qu’il fallait attendre au mois de juin ou octobre prochains pour aller devant les électeurs avec une nouvelle loi électorale ; mais au fond, comme ils n’ont aucune importance, je n’ai pas insisté, sauf que je les ai reçus froidement, surtout Michelet qui a eu le toupet de venir après tout ce qu’il a fait contre la maison, contre mon fils, contre le général Grossin, contre Kosciusko, à tel point que quand il est arrivé, la maison était vide, personne n’a voulu le rencontrer; ils sont d’ailleurs venus à la place de Furaud que j’avais d’ailleurs convoqué, car eux, je ne les avais pas convoqués, et je n’aurais jamais convoqué Michelet.»

Vincent Auriol n’apprécie pas la venue de Michelet pour deux raisons :
      1) Il croyait avoir un entretien avec les députés Edmond Michelet et Louis Terrenoire, venus d’ailleurs à la place de Jacques Furaud, président du groupe des Républicains populaires indépendants à l’assemblée, une dissidence gaulliste du MRP. Or ceux-ci, membres à l’Assemblée du groupe présidé par Jacques Furaud, appartiennent au RPF et se présentent comme représentants du RPF qu’Auriol a reçu en la personne de René Capitant, lequel refuse de voter la confiance à quelque cabinet que ce soit. Vincent Auriol a donc le sentiment d’avoir perdu son temps en les recevant. Il ne se prive pas de leur dire que ce ne sont pas eux les pestiférés mais que ce sont eux qui considèrent tout cabinet comme pestiféré. Les gaullistes, et en tête le général de Gaulle, depuis 1947, sont en effet dans une opposition agressive et/ou méprisante à tous les cabinets qui se sont succédé : Ramadier, Schuman, Marie, Schuman, Queuille, Bidault.
      2) Michelet a été, jusqu’au 3 mai 1950, président de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur "l’affaire des généraux".
Qu’est "l’affaire des généraux" ?
Le général Georges Revers (1891-1974), chef d’état-major général de l’armée de terre, avait été envoyé par le gouvernement en mission d’inspection en Indochine en mai 1949. A l’issue de laquelle, il avait rédigé un rapport ultra-secret préconisant, entre autres, le retrait des troupes françaises stationnées dans des postes le long de la route coloniale n°4 (Lang Son, That Khé, Dong Khé Cao Bang) et le renforcement des défenses dans le delta du fleuve Rouge.  Or ce rapport est divulgué rapidement et le Vietminh en a connaissance.
Le 18 septembre 1949, un pugilat éclate, gare de Lyon à Paris, entre un soldat, ancien d’Indochine, et deux Vietnamiens. Au poste, les policiers constatent que l’un des Vietnamiens, sympathisant du Vietminh, est possesseur d’une copie du rapport Revers. A la suite de perquisitions, de nombreux autres exemplaires du rapport sont trouvés. De fil en aiguille, la police remonte à un certain Roger Peyré, individu peu recommandable, très proche du général Revers et du général Charles Mast (1889-1977). Ce Roger Peyré avait été impliqué dans une campagne destinée à faire de ce dernier – alors directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale – le haut-commissaire en Indochine, en remplacement de Léon Pignon, haut-commissaire en place. Des mouvements de fonds sont mis en évidence, impliquant Roger Peyré, un représentant de Bao Dai en France, M. Hoang Van Co et, mais cela n’a pas été prouvé, les généraux Mast et Revers.
Le scandale éclate. La presse se déchaîne. Gaullistes et communistes attaquent violemment le gouvernement ; une commission d’enquête parlementaire est créée dont le président est Edmond Michelet. Vincent Auriol est directement attaqué : il est question dans le dossier d’un certain Paul. Or, le fils du président Auriol, par ailleurs secrétaire général adjoint de la Présidence, s’appelle Paul. Le général Grossin (1901-1990), chef de la maison militaire du président de la République, se prénomme également Paul. "Paul" se révélera être, en fait, un pseudonyme de Peyré. Kosciusko, cité par Vincent Auriol dans son journal, est Jacques Kosciusko (grand-père de Nathalie Kosciusko-Morizet), directeur de son cabinet civil de 1947 à 1954.
La commission d’enquête met fin à ses travaux en juillet 1950. L’affaire des généraux finira par tomber dans l’oubli*. Mais Vincent Auriol n’oublie pas le rôle joué par Edmond Michelet.

4 juillet 1950
Après la chute du gouvernement Bidault, un cabinet Queuille tente de se constituer mais échoue. Vincent Auriol réfléchit sur les causes de l’instabilité ministérielle et en voit une dans l’appétit pour les ministères qui s’éveille chez tout un chacun et la rivalité qui en résulte entre les prétendants à un maroquin.

« Autrefois les gouvernements étaient renversés sous le coup des ambitions, des intrigues, mais pourtant n’était pas ministre qui le voulait, il y avait toute une catégorie de personnages consulaires ; maintenant, depuis qu’on nomme n’importe qui sorti du rang, tout le monde dit : pourquoi lui, pourquoi pas moi ? On a vu tout à coup Michelet nommé ministre de la Guerre par de Gaulle alors on a dit : comment ce courtier d’épicerie, mais pourquoi pas moi qui suis agrégé ou colonel, etc. de sorte qu’on est arrivé à une espèce d’égalisation, il n’y a pas eu de hiérarchie ; tant que cette hiérarchie [n’existera plus] et qu’il n’y aura pas des hommes ayant une autorité incontestée sur les autres, il y aura toujours ce petit jeu de rivalités et les investitures ne prouveront rien, les questions de confiance sur la composition des cabinets seront catastrophiques, car il faut connaître la psychologie du cœur humain, il ne peut y avoir dans ces conditions de stabilité. »

Et, lors d’un échange, avec Edouard Herriot, alors que les consultations recommencent pour trouver un successeur à Queuille :

« E. H. : Il paraît qu’André Marie ne décolère pas contre Queuille.
V. A. : Pourquoi ?
E. H. : Parce que Queuille ne l’a pas appelé.
V. A. : Je croyais qu’il l’avait appelé. Queuille m’a dit qu’il avait appelé Daladier, qui avait refusé, et qu’il avait appelé André Marie.
E. H. : En tout cas, il y a une chose certaine, c’est qu’il n’y est pas et il est furieux.
V. A. : Oh ! C’est trop tôt. Et puis, il y a une chose, quand on dit qu’il faut aller devant la Chambre avec l’équipe, eh bien, nous venons de voir à trois reprises l’homme et son ministère, foutus par terre ; autrefois sous la IIIe, on n’avait pas de ministre avant au moins deux législatures, on était d’abord président de commission. Depuis le jour où de Gaulle a appelé Michelet, courtier en épicerie, pour être ministre de la Guerre, les autres se disent, pourquoi pas moi. En vérité, il n’y a plus maintenant ce qu’on appelait le corps des personnages consulaires ; on s’inclinait. »

Vincent Auriol n’a manifestement pas "digéré" le comportement de Michelet à la tête de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire des généraux. Il pointe cependant une réalité : deviennent ministres des personnes n’ayant aucune compétence dans le domaine d’action de leur ministère, ni même dans l’exercice d’une quelconque action gouvernementale. Que dirait Auriol devant le spectacle des gouvernements de notre temps !

* Pour plus de détails sur "l'affaire des généraux", se reporter à l'ouvrage de Georgette Elgey : La République des illusions, 1945-1951, Fayard, 1965, p. 467 à 496

Annexe : article paru le 11 mars 1950 dans La Parole Républicaine, hebdomadaire du parti socialiste SFIO en Vendée. Il précise le rôle d'Edmond Michelet à la tête de la commission d'enquête sur l'affaire des généraux. En tant que président de cette commission, il a autorisé la diffusion d'une liste - dite Liste Tripier - de personnes qui auraient été l'objet de versements ou d'invitations de la part de M. Hoang Van Co. Cette liste s'est révélée fantaisiste; elle a cependant mis en cause l'honorabilité de nombreuses personnes et a été exploitée par le parti communiste qui a lancé une campagne extrêmement violente contre les "chèquards".



dimanche 13 décembre 2015

Déni de responsabilité d'Edmond Michelet :
On ne retient que l'actif, rien du passif, fut-il écrasant.

Voici la transcription de l'exposé fait par Nicole Lemaitre sur le thème "Peut-on conjuguer éthique et politique" au titre de l'Académie catholique de France et diffusé sur la chaîne de télévision KTO par trois fois en ce début de décembre 2015. 


Académie catholique de France  
7 décembre 2015

Peut-on conjuguer éthique et politique ?

Nicole Lemaitre

Sans doute, car des dossiers attendent à Rome la béatification de plusieurs acteurs du XXe siècle, Robert Schuman, Alcide de Gasperi, Edmond Michelet. Sont-ils des modèles ? Pour répondre, il faut comprendre d'où vient leur engagement. Nous suivons ici l'itinéraire d'Edmond Michelet pour lequel la documentation disponible révèle les principes et les ressorts de l'action. Avec les jeunes de l'Action Catholique de la Jeunesse Française, selon sa devise Piété, Etude, Action, Michelet fut d'abord en 1921 un patriote admirateur de Péguy, son prophète, lancé dans l'action éducative et sociale. Dans la crise de l'Action Française, en 1927, il suit le Maritain de Primauté du Spirituel qui devient "son docteur".
Il a fallu la montée des totalitarismes, l'expérience de la Résistance et de la Déportation pour qu'il entre en politique. Quatre axes permettent, dès les années 1930, de mesurer son engagement.
L'accueil des réfugiés espagnols à Brive initie son combat contre les idéologies. Lecteur de L'Aube, de Sept, puis de Temps Présent, il déplore en famille l'écrasement des républicains.


En 1934, il lit Mein Kampf en français et estime que la religion du sang menace notre civilisation. Il accueille les opposants allemands puis les expulsés juifs. Il combat les positions de La Croix de la Corrèze qui incite les jeunes à s'engager dans les ligues anti-démocratiques.
Sur le plan pratique, il trouve aux réfugiés des emplois, puis des abris, enfin des réseaux d'émigration.
En juin 1937, il crée le cercle Duguet pour diffuser la connaissance de la doctrine sociale de l'Eglise.
Là, dans l'été 1938, il dénonce les accords de Munich : abandonner Prague au désir d'hégémonie de M. Hitler équivaut à lui accorder Strasbourg, demain, et Périgueux, après-demain. Le second congrès des Amis de L'Aube fait naître les Nouvelles Equipes Françaises, en novembre 1938, pour refonder, en France, une démocratie efficace face au péril fasciste. La Résistance utilise rapidement ces chrétiens informés et convaincus. Dès le 17 juin 1940, le groupe de Brive refuse l'armistice. C'est L'Argent, de Péguy, qui sert à rédiger le premier tract distribué sur Brive :"Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend".  Père de sept enfants, Michelet regarde vers l'Angleterre qu'il ne peut rejoindre. Dirigeant du Secours National de Brive et du groupement pétainiste des épiciers, il pensait être à l'abri. Il diffuse des journaux, mène des actions, rejoint Combat comme chef de la Région V sous le nom de Duval. Il accueille chez lui des résistants comme le père Maydieu, Henri Frenay, Berthie Albrecht, Pierre Brossolette. Dénoncé sans être démasqué, il est arrêté le 29 juin 1943[1], mis au secret à Fresnes, puis déporté. L'essentiel est raconté, dès 1955, dans un témoignage magnifique d'humanité et de sérénité, Rue de la Liberté. A Dachau, il fait partie du comité de libération du camp. Il représente les Français face aux Américains. C'est là qu'il apprend la diplomatie internationale. Là aussi qu'il tente de défendre tout homme parce qu'il est homme, qu'il soit français, espagnol ou polonais, communiste ou volontaire de la Légion SS Charlemagne. Désigné pour siéger à l'Assemblée constituante le 18 juillet 1945, il est élu député de la Corrèze[2] puis nommé ministre des Armées parce qu'il a su travailler avec les communistes et les militaires à Dachau.
En 1951[3], il choisit de Gaulle contre les démocrates-chrétiens conformistes et reprend son métier de courtier en épicerie. Élu sénateur de la Seine en 1953[4], il ne quittera plus la scène politique. Il est envoyé à l'ONU en 1954 et saisit l'évidence de la décolonisation à la session de décembre 1956 dans laquelle la France est mise en accusation. Après avoir soutenu l'égalité entre colons et autochtones dans le statut de l'Algérie de 1947 et bataillé en vain pour que les anciens combattants indigènes soient traités comme les autres, il est persuadé que tout homme a droit à une patrie et défend l'indépendance dans l'entourage de de Gaulle dès 1957.
Au pouvoir en 1958, le ministre des anciens combattants puis Garde des Sceaux met en actes l'une de ses devises "rétablir la circulation sur les ponts coupés" en laissant fuiter, par exemple, de son cabinet des rapports comme celui de Michel Rocard. Il impose la surveillance des commissariats et protège les prisonniers. Avec l'accord du général, il entame les premières négociations secrètes avec le FLN en mai 1959. Démissionnaire à plusieurs reprises, évincé en août 1961, il n'a plus de pouvoir sur les affaires algériennes dès janvier 1961. Bien qu'affaibli physiquement, le ministre de la Fonction publique, puis de la Culture, rassemble des réseaux pour préparer et accompagner les décisions qu'il estime justes.
Michelet est un constructeur de l'Europe. Dès 1940, il refusait de parler de boches et risquait sa vie pour sauver des Allemands poursuivis par Vichy. Après la victoire, il construit l'amitié européenne à travers des réseaux qui comprennent d'anciens déportés, des démocrates-chrétiens résistants et aussi d'anciens nazis. Sa conscience de la solidarité mondiale devient responsabilité des pays développés à l'égard du tiers-monde au début des années 1960 quand il prend contact avec frère Roger à Taizé pour former des cadres du développement pour le Brésil. Ainsi ce politique, catholique affirmé, mort à la tâche par esprit de service, persuadé que tout homme peut s'amender, a cultivé le refus de la vengeance. Il a lutté pour désarmer la haine. Chrétien cohérent, il a eu conscience d'une solidarité mondiale au-delà des blocs, d'un monde à aimer et à protéger. Autant de tâches qui marquent l'essence de l'action politique au service de tous et non d'une carrière.



Nicole Lemaitre persiste dans le déni. Son exposé dure 8 minutes. Elle consacre 20 secondes au passage d'Edmond Michelet au ministère de la Justice alors que c'est bien à ce ministère que la conjugaison d'éthique et de politique est la plus cruciale dans le parcours de l'ancien déporté de Dachau.
Evidemment rien sur la peine de mort (voir les articles précédents sur le sujet). Il faut dire qu'après la prise de position du pape actuel sur cette peine, cela ferait désordre de faire l'éloge d'un Garde des Sceaux qui l'a rétablie en matière politique et a prescrit qu'elle soit requise contre des officiers généraux, dont on peut ne pas approuver les actes, mais dont tout un chacun reconnaît, cinquante ans après, que les motifs de leur action étaient l'honneur et la fidélité.
A noter, les à peu près et les confusions de l'oratrice en ce qui concerne les dates citées, ce qui est regrettable de la part d'un professeur d'Université, fut-il émérite.
Très révélateur, l'emploi du terme "le général" sans préciser lequel. Evidemment De Gaulle. Cela fait penser aux pétainistes qui utilisent aussi l'expression "le maréchal" - même admiration sans réserve pour le "grand homme".
Nicole Lemaitre écrit aussi : "Il est persuadé que tout homme a droit à une patrie et défend l'indépendance (de l'Algérie) dans l'entourage de de Gaulle dès 1957".
Peut-être Edmond Michelet la défend-il dans les banlieues de Colombey, mais en public, rappelons juste ce qu'il dit dans son discours du 14 juillet 1958  à l'Hôtel de Ville de Paris devant 6000 musulmans, anciens combattants et jeunes, venus spécialement d'Algérie : « ...dont la présence affirmait qu'il n'y avait, d'un bord à l'autre de la Méditerranée, qu'une seule France retrouvée dans l'unité, une France libre, égale et fraternelle.» N’est-ce pas un exemple-type de double langage ? Est-ce très "éthique" ?


Elle écrit également : « .. il n'a plus de pouvoir sur les affaires algériennes dès janvier 1961. » Elle tente ainsi de lui enlever toute responsabilité à partir de cette date. Cette affirmation ne repose sur rien de sérieux. De plus, la responsabilité personnelle d'Edmond Michelet, elle, persiste.

Ajoutons que, membre du cabinet Debré, il ne cesse de prendre, en sous-main, des positions opposées à celles du Premier Ministre - qui était en droit d'attendre un minimum de loyauté de son ministre - en ce qui concerne la répression des porteurs de valises remplies d'armes ou d'argent à destination du FLN, l'ouverture d'informations contre les signataires de l'Appel des 121 à l'insoumission, etc.

"Il a cultivé le refus de la vengeance". Faux ! Pour qui a suivi dans le détail sa vie politique, aussi bien sous la 4e République que sous la 5e, Michelet a en véritable exécration un certain nombre d'hommes politiques : Herriot, Queuille, Soustelle, Poher...qui ont le malheur de ne pas (ou plus) être gaullistes. Quand il demande au procureur Reliquet de requérir 20 ans de détention criminelle contre le commandant de Saint-Marc, ancien déporté de Buchenwald, cultive-t-il le refus de la vengeance contre celui qui, refusant le déshonneur de l'abandon sanglant des populations d'Algérie, s'est élevé contre la politique du "monarque" de Michelet ? Quand il stigmatise le procureur général Besson, coupable de ne pas avoir requis la peine de mort contre Challe et Zeller, et les juges, coupables d'un verdict de quinze années de détention (seulement !), est-ce par amour du prochain?

Principales références :
Besson (Antonin), Le Mythe de la Justice, p.254, Plon, 1973
Tournoux (Jean-Raymond), Jamais dit, p.258-262, Plon 1971
Valade (Jean-Michel), Du putsch des généraux en avril 1961 à Alger à la prison de Tulle, in Archives en Limousin, n°28, 2006-2, p. 61-67
- Faivre (Maurice), Conflits d'autorité durant la guerre d'Algériep. 64-71, L'Harmattan, 2004





[1] Le 25 février 1943, selon son fils Claude dans son ouvrage "Mon père, Edmond Michelet"
[2] Il est désigné le 18 juillet 1945, en tant que déporté, pour siéger à l'Assemblée consultative provisoire. Il est élu député à l'Assemblée constituante, le 21 octobre 1945. 
[3] Edmond Michelet est exclu du MRP pour "gaullisme" le 19 novembre 1947. Le 24 juin 1949, il est nommé par le général de Gaulle  membre du conseil de direction du RPF.
[4] Le 18 mai 1952

mercredi 17 juin 2015

"Edmond Michelet, une résistance spirituelle"



C'est sous ce titre que Nicole Lemaître, professeur émérite d'histoire à l'université Paris-1 Panthéon Sorbonne et chargée de cours à l'Institut catholique de Paris, a publié un article dans le numéro 29 de juin 2015,  intitulé  "Résister", de la revue Inflexions.
Son comité de rédaction est ainsi composé : John Christopher Barry, Monique Castillo, Patrick Clervoy, Samy Cohen, Jean-Luc Cotard, Catherine Durandin, Benoît Durieux, Frédéric Gout, Michel Goya, Armel Huet, Haïm Korsia, François Lecointre, Thierry Marchand, Jean-Philippe Margueron, Hervé Pierre, Emmanuelle Rioux, François Scheer, Didier Sicard et Hervé Thiéblemont.
Toute à la démonstration de la sainteté d'Edmond Michelet - Nicole Lemaître a été la cheville ouvrière du dossier historique attaché à la cause de béatification du ministre de la Justice des années 1959 à 1961 - la brillante universitaire, auteur entre autres d'un Saint Pie V, en vient à oublier les règles de la méthode historique que l'on croyait intangibles.
A propos de l'entrée en résistance d'Edmond Michelet, elle "cite" des propos de celui-ci :


Parfait, il y a une référence, c'est un travail sérieux. Reportons-nous donc à cette référence, page 45 de  La Querelle de la Fidélité. Que lit-on ? On lit ceci :


 Quelle qualification retenir quand une "citation" est volontairement et profondément modifiée ? Est-ce une pratique courante dans l'Université ? Evidemment, cette modification - euphémisme - n'est pas le résultat d'une étourderie. Il s'agit d'éviter de troubler l'image irénique d'Edmond Michelet, candidat à la béatification : on verrait mal aujourd'hui l'Eglise béatifier un homme politique qui proclamerait qu'Hitler était un nouveau Mahomet.


Sur le procès des généraux Challe et Zeller, voici ce qu'écrit Nicole Lemaître :


 Nicole Lemaître ne retient dans son texte que ce qui va dans le sens d'une minimisation de la responsabilité d'Edmond Michelet dans la demande faite au procureur général Besson de requérir la peine de mort contre les généraux Challe et Zeller. Bien entendu, elle ne cite pas l'ordonnance 60-529 du 4 juin 1960, signée d'Edmond Michelet, ministre de la Justice, rétablissant la peine de mort en matière politique abolie depuis 1848, et dont l'article 99 autorise la réquisition de la peine de mort contre les deux généraux.
On la comprend. La cause d'un candidat à la béatification ayant signé une telle ordonnance et ayant exercé des pressions intenses sur le procureur Besson pour qu'il requière la peine de mort serait (et sera) mal accueillie à la Congrégation pour la cause des Saints, au Vatican. Pourquoi ? Tout simplement parce que Sa Sainteté le Pape François a condamné définitivement la peine capitale dans sa lettre du 20 mars 2015 à Federico Mayor, président de la Commission internationale contre la peine de mort :


(Extrait provenant du site Internet du Saint-Siège)


Examinons dans le détail le texte écrit par Nicole Lemaître.

Il demande la peine de mort dans une lettre du 30 mai 1961
Voici deux passages de la longue lettre signée d'Edmond Michelet et reçue par le procureur général Besson le 30 mai 1961, le deuxième jour du procès, donc la veille du jour où Antonin Besson va prononcer son réquisitoire (à noter qu'en lui annonçant l'envoi de cette lettre, André Holleaux, directeur de cabinet d'Edmond Michelet, lui a précisé qu'elle a reçu l'approbation du Premier ministre et du chef de l'Etat) :




 C'est clair : la peine de mort est explicitement réclamée.


Nous savons aujourd'hui qu'avant d'être envoyée, cette lettre a été travaillée avec Michel Debré et retouchée par le Général (de Gaulle) dans le sens de la sévérité.


La lettre a été travaillée avec Michel Debré. C'est la première fois que ceci est rapporté. Quelles références ? Si effectivement elle a été travaillée avec Michel Debré, cela signifie simplement qu'il y a une contribution de Michel Debré au texte d'Edmond Michelet.

et retouchée par le Général (de Gaulle) dans le sens de la sévérité.
Je pense avoir été le premier et peut-être le seul à avoir vu cette lettre, soumise au chef de l'Etat et retouchée par lui-même, aux Archives Nationales en 2011 et à avoir rapporté le fait.
Voici les trois phrases retouchées avant et après correction par le chef de l'Etat :
… La sédition impliquait à ses yeux (ceux d'André Zeller), en cas de succès, le renversement du Gouvernement (des Institutions) et l’inauguration d’une politique nouvelle, sans doute dans de nombreux domaines…
… Il est clair pour l’un et l’autre que le châtiment suprême semblerait devoir être normalement (doit normalement être) réclamé…
…Je voudrais vous rendre attentif, Monsieur le Procureur général, à la nécessité pour vous de réclamer des peines sévères (les peines les plus sévères)…

Le reste de la lettre n'a pas été retouché et contient en particulier les phrases y figurant auparavant :
 - Le code est formel, il prévoit la peine de mort, on n'aperçoit pas quelles circonstances atténuantes…
-   Si la peine de mort n'est pas réclamée cette fois…

Avec ou sans retouches, c'est bien la peine de mort qu'Edmond Michelet demande à Antonin Besson de requérir.
Quelles que soient les contributions respectives d'Edmond Michelet, de Michel Debré, de Charles de Gaulle ou de membres du Secrétariat à la Présidence de la République, la lettre est signée Michelet et en la signant, il en assume la responsabilité.

Pour qui aurait des doutes sur la position d'Edmond Michelet, il suffit de consulter l'étude faite par Jean-Michel Valade, intitulée "Du putsch des généraux d'Alger, en avril 1961, à la prison de Tulle" et publiée dans le n°28 de la revue Archives en Limousin :






Le Garde des Sceaux évoque donc "le détestable réquisitoire du procureur général (détention criminelle à perpétuité, NdR) et le scandaleux verdict du Haut Tribunal militaire (quinze années, NdR)


Mais sa  dernière phrase laisse en fait le choix ouvert au procureur

La dernière phrase de la lettre est celle-ci :


 Nicole Lemaître en tire la conclusion que le choix est laissé ouvert au procureur. Le choix est toujours laissé ouvert au procureur :"La plume est serve mais la parole est libre". La conclusion de la lettre est - c'est l'interprétation la plus logique - une ultime tentative d'Edmond Michelet de convaincre Antonin Besson de requérir la peine de mort, car ce dernier a, dès les premiers entretiens avec les ministres, fait savoir qu'il ne la requerrait pas à l'encontre des généraux Challe et Zeller.

Besson subit les pressions de Frey (Intérieur), Messmer (Armées) et Michelet (Justice)

Voici comment Antonin Besson les rapporte :





 Une pression de la part d'Edmond Michelet qui consiste à continuer la désintégration de la personnalité d'Antonin Besson…


Mais en le raccompagnant, Michelet lui dit qu'il est de cœur avec lui27
27 Jean-Raymond Tournoux, Jamais dit, Paris, Plon, pp. 258-262

Allons voir l'ouvrage indiqué en référence (en fait à la page 263). Voici l'extrait correspondant :



Antonin Besson se pose la question des sentiments réels d'Edmond Michelet; quel Michelet croire ? Celui qui vous dit qu'il est de cœur avec vous ou celui qui envoie une lettre quasi-comminatoire demandant que la peine de mort soit requise ? Nicole Lemaître a tranché : Michelet est de cœur avec Antonin Besson. Sur quelle base peut-elle affirmer ceci ? Antonin Besson lui-même ne comprend pas l'attitude du Garde des Sceaux et semble pencher pour un double langage de la part de celui-ci.
L'explication de la position de Nicole Lemaître est, semble-t-il, la même : un Michelet demandant la peine de mort ne fait pas un bon candidat à la béatification… 


Quelle conclusion tirer de l'analyse de ce texte de Nicole Lemaître ?
1) Elle a délibérément modifié le texte d'une citation d'Edmond Michelet.
2) Elle a systématiquement tenté de minimiser la responsabilité d'Edmond Michelet dans la demande qu'il a faite au procureur général Besson de requérir la peine de mort pour les généraux Challe et Zeller, ceci en omettant de citer des faits antérieurs (rétablissement de la peine de mort en matière politique), en omettant d'expliciter les pressions exercées sur le procureur Besson (entreprise de désintégration de sa personnalité) et en sélectionnant dans les mémoires de ce dernier uniquement l'extrait qui va dans le sens d'une dilution de la responsabilité de Michelet (Michelet lui dit qu'il est de cœur avec lui). Le travail de Jean Valade, fondé sur les archives du Centre d'Etudes Edmond Michelet de Brive qu'elle connait parfaitement :  connais pas.


Il est vraiment désolant qu'un ancien professeur des Universités se laisse aller à ce genre d'écart. Cette façon de travailler jette un doute sérieux sur l'impartialité et la rigueur ayant présidé à la constitution du dossier historique attaché à la cause de béatification d'Edmond Michelet.